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Le prolongement de l’évolution créatrice

Dans la perspective de la théorie bergsonienne de l’élan vital et de l’évolution de la vie, si le mysticisme “vrai” et “complet” est “agissant”, c’est que son action est créatrice. “Agissant” signifie “créateur”. Comme il a été dit plus haut159, le mysticisme est le prolongement de l’évolution créatrice là où celle-ci a atteint son terme, c’est-à-dire dans l’humanité.

Déjà, dans EC, Bergson considérait que “l’homme est le “terme” et le “but”

de l’évolution”160 et “ten[ait] l’humanité pour la raison d’être de l’évolution”161 ; il écrivait aussi : “L’homme continue donc indéfiniment le mouvement vital (…). Tout se passe comme si un être indécis et flou, qu’on

pourra appeler, comme on voudra, homme ou sur-homme, avait cherché à se réaliser, et n’y était parvenu qu’en abandonnant en route une partie de lui-même.”

162. Ces pages de EC163 semblent annoncer DS, qui s’inscrit dans leur prolongement : ce sont bien ces “considérations générales” que Bergson “présent[ait] sur l’évolution de la vie”164 qui sont reprises dans les pages 221 à 224 de DS.165.

159 Cf. p. 18, et note 112

160 EC/Q., p. 265

161 Op. cit., p. 266 ; cf. aussi p. 186 : “(…) l’homme serait la raison d’être de l’organisation entière de la vie sur notre planète.”

162 EC/Q., p. 267

163 Tout particulièrement les pp. 264 à 271, c’est-à-dire la fin du chapitre III, dont les pp. 252 à 271 portent comme titre courant : “ Signification de l’évolution”.

164 EC/Q., pp. 251-252

165 Le point de jonction concerne la “frange d’intuition” (DS/Q. p. 224) qui est restée autour de l’intelligence et qui pourrait, si l’homme apprenait à la “dilater”, le conduire “à l’intérieur même de la vie” (EC/Q. p. 178) et lui ouvrir des perspectives nouvelles. La page 224 de DS semble prendre la suite de EC/Q. p. 267 : “La conscience, chez l’homme, est surtout intelligence. Elle aurait pu, elle aurait dû, semble-t-il, être aussi intuition. Intuition et intelligence représentent deux directions opposées du travail conscient : l’intuition marche dans le sens même de la vie, l’intelligence va en sens inverse, et se trouve ainsi tout naturellement réglée sur le mouvement de la matière. Une humanité complète et parfaite serait celle où ces deux formes de l’activité consciente atteindraient leur plein développement.” ; p. 268 : “L’intuition est là cependant, mais vague et surtout discontinue. C’est une lampe presque éteinte, qui ne se ranime que de loin en loin, pour quelques instants à peine. Mais elle se ranime, en somme, là où un intérêt vital est en jeu. Sur notre personnalité, sur notre liberté, sur la place que nous occupons dans l’ensemble de la nature, sur notre origine et peut-être aussi sur notre destinée, elle projette une lumière vacillante et faible, mais qui n’en perce pas moins l’obscurité de la nuit où nous laisse l’intelligence.”.DS/Q. p. 224 semble reprendre et enchaîner : “(…) la vie (…) est chez l’homme le succès même, si incomplet et si précaire soit-il (…). Pourquoi, dès lors, l’homme ne retrouverait-il pas la confiance qui lui manque, ou que la réflexion a pu ébranler, en remontant, pour reprendre de l’élan, dans la

L’homme, grâce à son intelligence, se situe au “terme” de l’évolution créatrice ; mais en même temps que “la nature” confère à l’homme l’intelligence, elle le place dans une “société close” et lui impose, par le biais d’ “instincts virtuels”, certaines limites destinées à assurer la conservation des sociétés closes, formes sous lesquelles apparaît l’espèce humaine. Ces limites constituent, par rapport au mouvement créateur de l’élan vital, une

“clôture” et un “arrêt” : si elles permettent la conservation, elles deviennent elles-mêmes un obstacle à l’évolution de l’humanité vers sa forme “complète et parfaite”166.

Dans ce contexte, l’action des mystiques consiste à surmonter ce nouvel obstacle, en “se repla[çant] dans l’élan même de la vie”167, et en y entraînant peu à peu le reste de l’humanité : ainsi que Bergson l’explique, “l’espèce qui est la raison d’être de toutes les autres n’est que partiellement elle-même.

Elle ne penserait même pas à le devenir tout à fait si certains de ses représentants n’avaient réussi, par un effort individuel qui s’est surajouté au travail général de la vie, à briser la résistance qu’opposait l’instrument, à triompher de la matérialité, enfin à retrouver Dieu. Ces hommes sont les mystiques. Ils ont ouvert une voie où d’autres hommes pourront marcher.”168. L’action des grands mystiques “parachève la création de l’espèce humaine”169 en ce sens qu’elle veut “délivrer [l’humanité] de la nécessité d’être une espèce : qui dit espèce dit stationnement collectif, et l’existence complète est mobilité dans l’individualité.”170.

De ces hommes qui entraînent l’humanité et la “transforment”171,

direction d’où l’élan était venu ? Ce n’est pas par l’intelligence, ou en tout cas avec l’intelligence seule, qu’il pourrait le faire : celle-ci irait plutôt en sens inverse (…). Mais nous savons qu’autour de l’intelligence est restée une frange d’intuition, vague et évanouissante. Ne pourrait-on pas la fixer, l’intensifier, et surtout la compléter en action (…) ?”

166 EC/Q., p. 267

167 DS/Q., p. 291. Il s’agit d’un contact direct, immédiat, avec la vie, “créatrice de la nature qui a créé l’exigence sociale” (DS/Q. p. 286) ; (cf. aussi p.227 : “ce contact avec le principe même de la nature”). Ainsi est surmonté l’obstacle de “la nature”.

168 DS/Q., pp. 273-274

169 DS/Q., p. 248

170 DS/Q., p. 332

171 L’idée que l’action créatrice des mystiques se traduit par une “transformation” de l’humanité est évoquée ça et là sous la plume de Bergson ; cf. DS/Q. p. 310 : “Le mysticisme est incontestablement à l’origine des grandes transformations morales.”. Cf. aussi DS/Q., p. 97 (“encourager le rêve d’une transformation radicale”), p. 99 (“transfigurer”), p. 103 (“transformation morale”), p. 188 (“des transformations de l’individu devinrent possibles”), p. 250

Bergson écrit que “chacun représente, comme eût fait l’apparition d’une espèce nouvelle, un effort d’évolution créatrice.”172.

“Élan d’amour” et création d’une humanité nouvelle.

Une action qui consiste en une création par amour : c’est là la spécificité du mysticisme chrétien, et c’est là aussi ce qui le rend “agissant”. C’est en effet dans la mesure où le mystique entre en contact avec l’amour créateur et s’unit à lui, qu’il reçoit cet amour comme “une surabondance de vie”, “un immense élan”, “une poussée irrésistible”173, et peut le transmettre à l’humanité.

Le mystique est mû par un “élan d’amour”174 qui le porte vers

“l’humanité en général”175, “car l’amour qui le consume n’est plus simplement l’amour d’un homme pour Dieu, c’est l’amour de Dieu pour tous les hommes.”176. Alors que “l’amour d’un homme pour Dieu” pourrait n’en rester qu’au niveau de l’abstraction  représentation intellectuelle teintée de sentiment , “l’amour de Dieu pour tous les hommes” suppose “une prise de contact, (…) une coïncidence partielle avec l’effort créateur que manifeste la vie”177. Ce faisant, le mystique identifie sa volonté avec celle de Dieu, qui par essence est amour178 : l’amour du mystique pour l’humanité est donc bien maintenant “l’amour de Dieu pour tous les hommes”. Et comme cet amour est “puissance de création”179, “énergie créatrice”180, le mystique devient “agissant” en laissant cette énergie agir à travers lui, et il “prolonge ainsi l’action divine”181, cette “entreprise de Dieu pour créer des créateurs”182 : il s’agit en effet de créer une “espèce nouvelle”183, une

(“transformation radicale”), p. 284 (“une transformation plus ou moins profonde de l’homme”), p. 332 (“à l’âme par lui transfigurée”).

172 DS/Q., p. 99

173 DS/Q., p. 246 (déjà cité, cf. note 136).

174 DS/Q., p. 97, 102, 250

175 DS/Q., p. 97

176 DS/Q., p. 247

177 DS/Q., p. 233

178 DS/Q., p. 269, 270

179 DS/Q., p. 269

180 DS/Q., p. 270

181 DS/Q., p. 233

182 DS/Q., p. 270

183 DS/Q., p. 332

“humanité divine”184, c’est-à-dire de “convertir en effort créateur cette chose créée qu’est une espèce, faire un mouvement de ce qui est par définition un arrêt”185, afin de permettre “la création sans cesse renouvelée d’une humanité plus complète”186.

“L’amour mystique de l’humanité”

187 a donc deux traits caractéristiques : il passe par Dieu, et il s’adresse à l’humanité entière188, à cette “société ouverte”, encore idéale, que Bergson qualifie de “mystique”189. De ces deux caractéristiques, la seconde dérive de la première, sans laquelle ne peut se réaliser ce “bond hors de la nature” qu’est le passage du “clos” à l’ “ouvert”.

En effet, c’est “à travers Dieu, par Dieu” que le mystique “aime toute l’humanité d’un divin amour”190. L’âme ne “s’ouvre toute grande à un universel amour”191 que mue par l’amour lui-même, c’est-à-dire Dieu : “c’est en Dieu que nous aimons les autres hommes”192, et alors c’est “l’humanité entière” qui est “aimée dans l’amour de ce qui en est le principe.”193.

* * *

Le mouvement d’ouverture à l’humanité entière, le passage de la

“société close” à la “société ouverte”, requiert donc cette “coïncid[ence] avec l’amour de Dieu”194 qui est impliquée dans les évocations de “l’âme ouverte”195 : à moins de cela, il est impossible à l’humanité de “rompre avec la nature”196 et de progresser vers son achèvement.

184 DS/Q., p. 253

185 DS/Q., p. 249

186 DS/Q., p. 85

187 DS/Q., p. 248

188 DS/Q., p. 25, 34, 85, 225, 248, 249 (“humanité entière”) ; p. 247 (“toute l’humanité”) ; p. 97, 247 (“tous les hommes”) ; p. 97 (“l’humanité en général”).

189 DS/Q., p. 85 ; cf. note 74

190 DS/Q., p. 247

191 DS/Q., p. 240

192 “Et les grands mystiques déclarent avoir le sentiment d’un courant qui irait de leur âme à Dieu et redescendrait de Dieu au genre humain.” (DS/Q., p.51)

193 DS/Q., p. 225 ; cf. aussi p. 52 : “(…) c’est toujours dans un contact avec le principe générateur de l’espèce humaine qu’on s’est senti puiser la force d’aimer l’humanité.”

194 DS/Q., p. 248

195 DS/Q., p. 34, 62, 63

196 DS/Q., p. 50 (déjà cité)

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