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《道德與宗教之二源泉》一書中的“生命奮進(?lan vital)”概念

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Academic year: 2021

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(1)NTU Studies in Language and Literature Number 13 (June 2004), 135-172. 135. La notion d’élan vital dans Les deux sources de la morale et de la religion de Henri Bergson Patricia Nguyen Associate professor, Department of foreign Languages and Literatures, National Taiwan University. ABSTRACT La conception de l’élan vital exposée dans L’évolution créatrice joue un rôle majeur dans la théorie bergsonienne de l’évolution de la vie. Cette conception aurait-elle aussi joué un rôle dans l’élaboration de la doctrine exposée dans Les deux sources de la morale et de la religion ? En quoi peut-elle être liée à la distinction par Bergson de “deux sources” de la morale et de la religion ? La première source de la morale et de la religion résulte de l’arrêt de l’élan vital et d’un mouvement de “clôture” des sociétés. Cela se traduit par la formation de la “morale de pression” (pression impersonnelle que, pour maintenir l’ordre social, la société exerce sur l’individu, lequel vit cette pression sur le mode d’une habitude presque inconsciente) et de la “religion statique” (dont les productions fantasmatiques ont, comme l’obligation morale, la fonction d’assurer la cohésion du groupe humain et la “conservation de la vie sociale”). A ce mouvement s’oppose l’ “ouverture” par laquelle l’humanité peut, en se replaçant dans le mouvement de l’élan vital, devenir créatrice d’elle-même : en témoignent la “morale d’aspiration” (des “individualités privilégiées”, dont l’exemple est un “appel” personnel adressé à chacun, entraînent l’humanité dans leur dynamisme créateur, qu’ils tiennent de leur “coïncidence” avec l’élan vital) et la “religion dynamique” (dont la forme la plus achevée est le mysticisme chrétien, caractérisé de “mysticisme complet”, parce qu’il est “agissant” : l’action des grands mystiques continue en effet l’effort créateur de l’élan vital). Cette deuxième source de la morale et de la religion tient sa vitalité et sa créativité de l’élan vital même. Et Bergson, en reliant cette deuxième source à des origines judéo-chrétiennes, est ainsi conduit jusqu’au seuil du christianisme. © 2004 by the Department of Foreign Languages and Literatures, NTU.

(2) 136. NTU Studies in Language and Literature. Keywords : élan vital, morale (morale de pression / morale d’aspiration), religion (religion statique / religion dynamique), clos / ouvert (société close ; morale close / morale ouverte), conservation / création, mysticisme, mysticisme chrétien.

(3) La notion d’élan vital dans Les deux sources de la morale et de la religion de Henri Bergson 137. 《道德與宗教之二源泉》一書中的 “生命奮進 (élan vital)”概念 阮綺霞 國立台灣大學外國語文學系副教授. 摘. 要. 本文章係論述柏格森 (Henri BERGSON, 1859-1941) 於 1932 年所出版的 《道德與宗教之二源泉》一書中“生命奮進 (élan vital)”概念的地位,以及其 與柏氏道德與宗教起源說之關係。 因此,《德與宗教之二源泉》一書其名的意義顯得更加清楚明白。道德與 宗教的一種起源是“自然 (la nature)”,另一種起源則是“生命奮進 (l’élan vital)”。一方面,為了保存原有的“封閉社會 (la société close)”,生命與物質 之間產生了一種妥協,而此妥協就是柏氏所謂的“自然 (la nature)”,它是“封 閉道德 (la morale close)”和“靜的宗教 (la religion statique)”的起源。另一方 面,與前者對比,來自於“生命奮進 (l’élan vital)”的“開放道德 (la morale ouverte)”和“動的宗教 (la religion dynamique)”能使“封閉社會 (la société close)”開放起來,進而能擴展創造出“人類全體 (l’humanité entière)”的“新 人類 (une humanité nouvelle)”。 值得注意的是,“開放道德 (la morale ouverte)”和“動的宗教 (la religion dynamique)”皆以基督宗教神秘主義為代表;這是因為此神秘主義顯得最能吻合 “生命奮進 (l’élan vital)”的創造性。 關鍵詞:生命奮進,道德﹝壓迫道德 / 願望道德﹞,宗教﹝靜的宗教 / 動的宗 教﹞,封閉的 / 開放的﹝封閉社會,封閉的道德 / 開放道德﹞,保存 / 創造,神秘主義,基督教神秘主義.

(4) 138. NTU Studies in Language and Literature. La notion d’élan vital dans Les deux sources de la morale et de la religion de Henri Bergson Patricia Nguyen Bergson, ayant retracé dans EC l’évolution de la vie jusqu’à l’apparition de l’intelligence, qui caractérise l’espèce humaine, consacre son dernier grand ouvrage à l’étude des sociétés humaines – formes sous lesquelles se présente l’espèce humaine, quand elle apparaît – qu’il replace dans l’ensemble de sa théorie de la vie, pour expliquer leur fonctionnement et leur évolution, et rendre raison de la place de l’humanité dans l’évolution de la vie. Or, dans la théorie bergsonienne de l’évolution de la vie, la conception de l’élan vital joue un rôle majeur. Cette conception aurait-elle aussi joué un rôle dans l’élaboration de la doctrine des “deux” sources, c’est-à-dire d’une double source, de la morale et de la religion ? Et comment ? L’examen du rapport de l’élan vital à chacune des deux sources de la morale et de la religion nous mettra sur la voie de la réponse à cette question : la première source – celle dont sont issues morale de pression et religion statique – est à chercher dans un arrêt de l’élan vital ; quant à la deuxième source, elle consiste à se replacer dans le mouvement même de l’élan vital.. I. L’arrêt de l’élan vital et l’organisation des sociétés humaines première source de la morale et de la religion L’élan vital, dans la philosophie bergsonienne, est toujours lié à la matière qu’il rencontre sur sa route tout au long de l’histoire de l’évolution, telle que Bergson la retrace dans EC. La matière constitue “l’obstacle” majeur que la vie rencontre dans son élan, et qu’il s’agit pour elle de “tourner”1. 1. Cf. EC/Q. p. 99 : “[la fragmentation de la vie en individus et en espèces] tient (…) à deux séries.

(5) La notion d’élan vital dans Les deux sources de la morale et de la religion de Henri Bergson 139. En effet, de la rencontre entre l’élan vital et la matière, résultent à la fois un arrêt de l’élan2 et un phénomène de “clôture” de la vie par la matière qui la divise et devient facteur d’individuation3. Arrêt de l’élan, clôture4, circularité, sont des phénomènes concomitants qui accompagnent la formation des espèces : “chaque espèce se comporte comme si le mouvement général de la vie s’arrêtait à elle au lieu de la traverser.”5 ; “qui dit espèce dit stationnement collectif”6 ; et “l’acte même qui constitua l’espèce humaine” ne fait pas exception : “comme tout acte constitutif d’une espèce, celui-ci fut un arrêt.”7. La vie, cependant, pour divisée qu’elle soit, n’en trouve pas moins une solution pour “tourner l”obstacle” que représente pour elle la matière, et cette solution consiste à recourir à ce “modus vivendi” qu’est l’organisation8,. 2. 3. 4. 5 6 7 8. de causes : la résistance que la vie éprouve da la part de la matière brute, et la force explosive – due à un équilibre instable de tendances – que la vie porte en elle.” Mais “La résistance de la matière brute est l’obstacle qu’il fallut tourner d’abord.” En fait d’ “arrêt”, il s’agit plutôt d’un “piétinement sur place” (EC/Q. p. 105), d’un “tourbillonnement sur place” : “La vie entière, depuis l’impulsion initiale qui la lança dans le monde, apparaîtra [à une philosophie d’intuition] comme un flot qui monte, et que contrarie le mouvement descendant de la matière. Sur la plus grande partie de sa surface, à des hauteurs diverses, le courant est converti par la matière en un tourbillonnement sur place. Sur un seul point il passe librement, entraînant avec lui l’obstacle, qui alourdira sa marche mais ne l’arrêtera pas. En ce point est l’humanité ; là est notre situation privilégiée.” (EC/Q. p. 269). (C’est moi qui souligne.). Cf. EC/Q. p. 259 : “La matière divise effectivement ce qui n’était que virtuellement multiple, et en ce sens, l’individuation est en partie l’œuvre de la matière, en partie l’effet de ce que la vie porte en elle.” Cf. aussi DS/Q. p. 118 : “cette matière est instrument, et elle est aussi obstacle. Elle divise ce qu’elle précise.” La clôture est elle aussi constitutive des systèmes vivants que sont les organismes – et les espèces : “la vie (…) tend à constituer des systèmes naturellement isolés, naturellement clos.” (EC/Q. p. 15). EC/Q. p. 255 DS/Q. p. 332 Ibid., p. 50 Cf. EC/Q. p. 250 : “En réalité la vie est un mouvement, la matérialité est le mouvement inverse, et chacun de ces deux mouvements est simple, la matière qui forme un monde étant un flux indivisé, indivisée aussi étant la vie qui la traverse en y découpant des êtres vivants. De ces deux courants, le second contrarie le premier, mais le premier obtient tout de même quelque chose du second : il en résulte entre eux un modus vivendi, qui est précisément l’organisation.” Le processus d’organisation est également décrit dans EC, aux p. 15, 93-95, 182, 186… ; cf. aussi DS/Q. p. 55 : “Cet élan propre à la vie est fini comme elle. Tout le long de sa route il rencontre des obstacles, et les espèces successivement apparues sont les résultantes de cette force et de forces antagonistes : celle-là pousse en avant, celles-ci font qu’on tourne sur place.”.

(6) 140. NTU Studies in Language and Literature. processus par lequel la vie s’insinue dans la matière et en tire profit ; c’est ce processus qui permet la formation des systèmes vivants, depuis les êtres unicellulaires jusqu’aux organismes les plus complexes, y compris le corps humain. Mais l’évolution de la vie ne s’arrête pas là ; elle crée aussi les espèces et les sociétés; car, à travers le processus d’organisation9, elle aboutit à la vie sociale. C’est que “l’association est la forme la plus générale de l’activité vivante puisque la vie est organisation, et que dès lors on passe par transitions insensibles des rapports entre cellules dans un organisme aux relations entre individus dans la société” 10 . Ainsi, du processus d’organisation à la sociabilité, il n’y a pas de solution de continuité : “le social est au fond du vital”11. Cette constatation permet à Bergson d’établir, dès les premières pages de DS, en guise d’entrée en matière, une comparaison12 entre un organisme et une société13. L’évolution de la vie a abouti à deux formes de vie sociale, correspondant aux deux lignes divergentes d’évolution qui ont donné les deux formes de la conscience : l’instinct, qui est propre à l’animalité, et l’intelligence, qui est propre à l’humanité. Plus exactement, parmi les animaux, ce sont chez les abeilles et les fourmis que la vie sociale fondée sur l’instinct est la plus développée14. 9. 10 11 12 13. 14. Le processus d’organisation opère par dissociation ; “[la vie] ne procède pas par association et addition d’éléments mais par dissociations et dédoublements” (EC/Q. p 90 ; cf. aussi p. 118) ; ailleurs, Bergson écrit que “la matière organisée (…) se dédouble plutôt que de croître au-delà d’un certain point.” (EC/Q. p. 100). L’organisation pose le problème de l’individualité : “(…) qui dira où commence et où finit l’individualité, si l’être vivant est un ou plusieurs, si ce sont les cellules qui s’associent en organisme ou si c’est l’organisme qui se dissocie en cellules ?” (EC/Q. p. VI (Introduction) ; cf. aussi p. 14-15). Cela conduit Bergson à énoncer : “une société est une organisation” (DS/Q. p. 22), et aussi : “Les membres de la cité se tiennent comme les cellules d’un organisme.” (DS/Q. p. 6). (Cf. aussi DS, p. 21, 23, 33, 94, 96, 123, 125…). DS/Q. p. 96 Ibid., p. 123 Ibid., p. 1-2 ; p. 3 (entre autres) Il s’agit, bien sûr, d’une société close, car toute société humaine est naturellement “close”, comme l’est tout système vivant, tout organisme. Cf. note 3. Cf. ES/Q. p. 26 (“La conscience et la vie”) : “Sur les deux grandes routes que l’élan vital a trouvées ouvertes devant lui, le long de la série des arthropodes et de celle des vertébrés, se développèrent dans des directions divergentes, (…) l’instinct et l’intelligence, enveloppés d’abord confusément l’un dans l’autre. Au point culminant de la première évolution sont les insectes hyménoptères, à l’extrémité de la seconde est l’homme : de part et d’autre, malgré la différence radicale des formes atteintes et l’écart croissant des chemins parcourus, c’est à la vie sociale que.

(7) La notion d’élan vital dans Les deux sources de la morale et de la religion de Henri Bergson 141. Dans le prolongement de EC, un parallélisme s’établit donc entre : - d’une part, les sociétés animales (plus particulièrement celles des hyménoptères), dont le fonctionnement repose sur l’instinct, lequel assure directement la cohésion de ces sociétés en même temps qu’il en assure le fonctionnement (autrement dit, l’instinct assure simultanément le fonctionnement et la cohésion de ces sociétés), - et d’autre part, les sociétés humaines, qui à défaut d’instinct, sont dotées de sociabilité, en plus de l’intelligence qui caractérise l’espèce humaine – “l’intelligence et la sociabilité” étant toujours les “deux traits essentiels” que présente l’homme 15 . Mais l’intelligence présente un danger16 pour la cohésion sociale, au contraire de l’instinct qui la favorise. C’est que l’intelligence, du fait qu’elle est “moulée” sur la matière, devient pour la vie un deuxième obstacle ; et dans ce cas, la solution inventée par la vie pour “tourner l’obstacle” est le recours à ce que Bergson nomme des “instincts virtuels”, dont nous verrons un peu plus loin l’origine et le mécanisme. Organisation et “instincts virtuels”, ces deux formes de solutions trouvées par la vie pour “tourner l’obstacle” que lui oppose la matière, sont à rapprocher de ce que Bergson désigne sous le nom de “nature” et l’expression d’ “intention de la nature”. La “nature” est ainsi définie par Bergson : “nous désignons par ce (…) mot l’ensemble des complaisances et des résistances que la vie rencontre dans la matière brute, ensemble que nous traitons, à l’exemple du biologiste, comme si l’on pouvait lui prêter des intentions.”17 Et en effet, d’après le contexte dans lequel Bergson emploie ce mot de “nature”, il semble que celle-ci ne soit autre que. 15 16. 17. l’évolution aboutit, comme si quelque aspiration originelle et essentielle de la vie ne pouvait trouver que dans la société sa pleine satisfaction.” (C’est moi qui souligne.). Cette page de ES récapitule les conclusions de EC tout en constituant une transition qui prépare à la recherche, menée dans DS, sur les sociétés humaines et leur place dans l’évolution générale de la vie. DS/Q. p. 120-121 DS/Q. pp. 94 à 96, dans le domaine de la morale ; et DS/Q. pp. 122 à 127, 137, 146, dans le domaine de la religion. Cf. DS/Q. p. 332. Cf. aussi DS/Q. p. 54 : “Nous n’affirmons pas que la nature ait proprement voulu ou prévu quoi que ce soit. Mais nous avons le droit de procéder comme le biologiste, qui parle d’une intention de la nature toutes les fois qu’il assigne une fonction à un organe : il exprime simplement ainsi l’adéquation de l’organe à la fonction.” A propos de la référence au biologiste, rappelons ici que dans DS, le “fil conducteur” de la recherche est le fil de la biologie. Bergson parle de ce “fil conducteur” de la recherche aux pages 112, 134, 168 de DS..

(8) 142. NTU Studies in Language and Literature. ce “compromis” par lequel la vie “tourne les obstacles” que représentent pour elle la matière ou l’intelligence. C’est donc dans les sociétés humaines, c’est-à-dire là où l’intelligence, qui s’est substituée à l’instinct, pourrait nuire à la cohésion et à la conservation de la vie sociale – autrement dit, au maintien de l’ordre social –, que la “nature” fait intervenir des “instincts virtuels”. Il s’agit pour la “nature” d’opposer une “résistance aux résistances” 18 qui pourraient se produire de la part de l’intelligence. Les “instincts virtuels” correspondent, dans les sociétés intelligentes, aux “instincts réels” qui règlent la vie des sociétés instinctives. Dans DS, on les voit remplir deux sortes de fonctions : - d’une part, dans le domaine de la “morale de pression”, ils constituent “le tout de l’obligation” qui sert à renforcer la sociabilité ; - d’autre part, dans le domaine de la “religion statique”, ils sont à l’origine de la “fonction fabulatrice”, que Bergson situe à la genèse du phénomène religieux, et qui sert à compenser les risques que fait courir l’intelligence à l’humanité et aux sociétés humaines dans leur état primitif, “au sortir des mains de la nature”19.. I 1 “Le tout de l’obligation” et la “morale de pression”  première source de la morale De même que dans les sociétés animales (et plus particulièrement chez les abeilles et les fourmis), l’instinct assure une cohésion étroite des individus entre eux et une subordination des individus à la société, de même, dans les sociétés humaines, dépourvues d’instinct (puisque l’instinct y a fait place à l’intelligence, comme Bergson l’a montré dans EC), mais “sorties des mains de la nature” comme les sociétés animales, une “force” assure la cohésion des individus entre eux et la subordination des individus à la société20. Cette force, qui s’exerce sur les individus sous la forme d’une. 18 19 20. DS/Q. p. 15-17 (titre courant) Cette expression revient à plusieurs reprises dans DS ; cf. p. 21, 55, 81, 127, 133, 218, 283, 295 “Une force de direction constante, qui est à l’âme ce que la pesanteur est au corps, assure la cohésion du groupe en inclinant dans un même sens les volontés individuelles. Telle est l’obligation morale.” (DS/Q. p. 283).

(9) La notion d’élan vital dans Les deux sources de la morale et de la religion de Henri Bergson 143. “pression” presque instinctive, constituée par un “système d’habitudes”21, est ce que Bergson appelle “le tout de l’obligation”22. Bergson voit dans “le tout de l’obligation” un “instinct virtuel”, car l’action qu’il exerce sur les individus, tout en étant coercitive, est presque inconsciente, le comportement qu’il induit étant “joué” plutôt que “pensé”23, comme l’est tout comportement né d’une habitude. C’est l’habitude, en effet, qui fait accomplir à l’individu ses devoirs, en lui permettant de “jouer son rôle” dans la société, avec un automatisme que Bergson rapproche de l’instinct24. La fonction du “tout de l’obligation” est, par le moyen de l’habitude, de maintenir ou de rétablir l’ordre25, en assurant la cohésion de la société, et la conservation de la vie sociale. Cette cohésion clôt la société, car si elle assure le maintien de l’ordre à l’intérieur de cette société, c’est aussi pour lui permettre de mieux se défendre vis-à-vis de l’extérieur, c’est-à-dire contre d’autres sociétés closes 26 . Une société humaine s’apparente ainsi à un organisme27. C’est une “société close” 28, comme 21 22 23. 24. 25 26. 27. DS/Q. p. 2 ; cf. aussi p. 53 : “un système d’habitudes plus ou moins assimilable à l’instinct” Sur “le tout de l’obligation”, cf. DS/Q. p. 13, 17, 19, 21(définition), 23-24-25, 81 DS/Q. p. 20 : “un impératif absolument catégorique est de nature instinctive ou somnambulique : joué comme tel à l’état normal, représenté comme tel si la réflexion s’éveille juste assez lontemps pour qu’il puisse se formuler, pas assez lontemps pour qu’il puisse se chercher des raisons.” Ibid., p. 20 : “une activité qui, d’abord intelligente, s’achemine à une imitation de l’instinct est précisément ce qu’on appelle chez l’homme une habitude. Et l’habitude la plus puissante, celle dont la force est faite de toutes les forces accumulées, de toutes les habitudes sociales élémentaires, est nécessairement celle qui imite le mieux l’instinct.” Ibid., p. 2 : “Un certain ordre a été dérangé, il devrait se rétablir.” DS/Q. p. 25 : “[Les sociétés closes] n’en ont pas moins pour essence de comprendre à chaque moment un certain nombre d’individus, d’exclure les autres.” ; p. 283 : “La société close est celle dont les membres se tiennent entre eux, indifférents au reste des hommes, toujours prêts à attaquer ou à se défendre, astreints enfin à une attitude de combat. Telle est la société humaine quand elle sort des mains de la nature. L’homme était fait pour elle, comme la fourmi pour la fourmilière.” Cf. aussi DS/Q. p. 27 : “Nos devoirs sociaux visent la cohésion sociale ; bon gré mal gré, ils nous composent une attitude qui est celle de la discipline devant l’ennemi.” ; p. 28 : “Qui ne voit que la cohésion sociale est due, en grande partie, à la nécessité pour une société de se défendre contre d’autres, et que c’est d’abord contre tous les autres hommes qu’on aime les hommes avec lesquels on vit ? Tel est l’instinct primitif.” DS/Q. p. 6 : “Les membres de la cité se tiennent comme les cellules d’un organisme. L’habitude, servie par l’intelligence et l’imagination, introduit parmi eux une discipline qui imite de loin, par la solidarité qu’elle établit entre les individualités distinctes, l’unité d’un organisme aux cellules.

(10) 144. NTU Studies in Language and Literature. le sont tous les systèmes naturels 29 . Comme tout système vivant, une société humaine tend à se conserver, en maintenant sa cohésion interne; et pour cela, elle tend à se clore sur elle-même et à vivre en se maintenant dans ses habitudes ; mais sa vie n’est plus alors qu’un “piétinement sur place”, puisqu’elle s’est formée par un mouvement de “retombée” de l’élan vital et de clôture sur elle-même30. Ce qui maintient la clôture de la société et permet en même temps la conservation de la vie sociale, c’est la circularité qui lie l’individu à la société par le moyen de l’obligation ; cette dernière, selon Bergson, “implique, à l’origine, un état de choses où l’individuel et le social ne se distinguent pas l’un de l’autre. (…) Individuelle et sociale tout à la fois, l’âme tourne ici dans un cercle. Elle est close.”31. L’obligation, en effet, agit à la manière d’une “pression” ou “coercition” si habituelle qu’elle est à peine ressentie comme telle par l’individu, chez qui elle développe surtout cette “partie socialisée de lui-même” 32 qu’est le “moi social”, le plus extérieur, celui qui est à la surface33 et qui recouvre le “moi individuel”, plus profond. Si la société ne se préoccupe que du “moi social” des individus, c’est que “la nature” a prédisposé les individus à vivre en société. C’est pourquoi la “pression” que constitue l’obligation sociale dans sa forme la plus “primitive” est impersonnelle, issue du “tout de l’obligation” qui est lui-même impersonnel. La “morale de pression” se caractérise par son impersonnalité, puisqu’elle n’a pas affaire à ce qu’il y a de “personnel” et de vraiment “individuel” dans l’individu, mais uniquement à son aspect social. 28. 29. 30. 31 32 33. anastomosées.” Sur la “société close” : DS/Q. p. 25, 27 ; et aussi p. 283-284, où Bergson fait une récapitulation à ce sujet. Cf. EC/Q., p. 15 : “la vie (…) tend à constituer des systèmes naturellement isolés, naturellement clos”. DS/Q. p. 49 : “Immanente à la [pression] est la représentation d’une société qui ne vise qu’à se conserver : le mouvement circulaire où elle entraîne avec elle les individus, se produisant sur place, imite de loin, par l’intermédiaire de l’habitude, l’immobilité de l’instinct.” Le mouvement de clôture est circulaire, au contraire de celui de l’élan vital, qui, se propulsant en avant, décrit une, ou plutôt plusieurs – puisque l’évolution est divergente – trajectoires linéaires. DS/Q., p. 34 DS/Q., p. 7 Cf. l’image des plantes aquatiques, évoquant le “moi social” et la solidarité sociale (DS/Q. p. 7-8).

(11) La notion d’élan vital dans Les deux sources de la morale et de la religion de Henri Bergson 145.  c’est-à-dire à ce qu’il doit avoir de commun avec les autres individus pour pouvoir vivre en société. La société ne s’intéresse pas tellement à l’individualité, à la personnalité propre à chaque individu dans la mesure où cela ne lui est pas nécessaire pour assurer la cohésion sociale. “L’âme close”, mue par l’automatisme de l’habitude, suffit à l’individu pour s’acquitter de ses devoirs sociaux et satisfaire aux exigences de la société. Mais “l’âme tourne ici dans un cercle”34. *. *. *. Ainsi, à une société close correspond, chez les individus qui la constituent, une “âme close”, que “la nature” enferme “à la fois en elle-même et dans la cité”35.. I 2 La “fonction fabulatrice” et la “religion statique” (“religion naturelle”)  première source de la religion De même que la morale des sociétés humaines “naturelles” est fondée sur un “instinct virtuel” qui semble correspondre à une “intention de la nature” visant à faire fonctionner la vie sociale à la manière d’un organisme biologique ou d’une société d’insectes, pour assurer sa cohésion et par conséquent sa conservation, de même, au fondement du phénomène religieux, Bergson pose un “instinct virtuel” qu’il nomme “fonction fabulatrice”36. C’est parce que cette denière fait surgir dans l’esprit de l’homme “primitif”37 ces images fantasmatiques qui donnent naissance aux croyances religieuses, mais qui ont pour fonction première de provoquer une conduite qui, chez 34 35 36. 37. DS/Q., p. 34, déjà cité. DS/Q., p. 50 DS/Q., p. 218 : “(…) la fonction fabulatrice, sans être un instinct, joue dans les sociétés humaines un rôle symétrique de celui de l’instinct dans ces société animales.” C’est pourquoi Bergson écrit aussi, à propos de la fonction fabulatrice : “Celle-ci n’a donc pas été voulue par la nature ; et pourtant elle s’explique naturellement.” (DS/Q. p. 208). Bergson s’est expliqué sur l’emploi du terme de “primitif”, qu’il ne faut pas prendre dans son sens “ethnologique” courant. Est “primitif” l’homme tel que Bergson le conçoit “au sortir des mains de la nature”. Cet homme “primitif” reste présent même dans l’homme “civilisé”. (Cf. DS/Q. p. 132-133)..

(12) 146. NTU Studies in Language and Literature. l’animal, serait provoquée directement par l’instinct, et chez l’homme permet de “contrecarrer l’intelligence” 38 tout en recourant à une représentation “intellectuelle” qui pourtant sert à “tourner l’obstacle” présenté par l’intelligence, dans les cas où une conduite “instinctive” se trouve plus appropriée pour la conservation de la vie et de l’espèce humaine, surtout dans les premiers temps de son évolution. C’est pourquoi Bergson parle aussi d’ “instincts intellectuels”39. La “nature”, ici, semble vouloir contrefaire l’intelligence, ou du moins utiliser les ressources que l’intelligence lui fournit, pour “tourner l’obstacle” venu de l’intelligence elle-même 40 . Dans ses deux définitions de la religion41, Bergson présente celle-ci comme “une réaction défensive de la nature contre” une tendance de l’intelligence qui présente pour la “nature” un danger, qu’il s’agisse du “pouvoir dissolvant de l’intelligence” 42 (l’intelligence conseillant l’égoïsme à l’individu, la nature suscitant la “représentation quasi-hallucinatoire” d’une divinité qui menacera ou réprimera), ou qu’il s’agisse de “la représentation, par l’intelligence, de l’inévitabilité de la mort” 43 , la certitude de mourir pouvant avoir sur l’homme une influence décourageante et négative, qui “ralentirait chez. 38 39 40. 41 42 43. DS/Q., p. 112, 124, 133 DS/Q., p. 168-169 DS/Q. p. 208 : “De tous les êtres vivant en société, l’homme est le seul qui puisse dévier de la ligne sociale, en cédant à des préoccupations égoïstes quand le bien commun est en cause ; partout ailleurs, l’intérêt individuel est inévitablement coordonné ou subordonné à l’intérêt général. Cette double imperfection est la rançon de l’intelligence. L’homme ne peut pas exercer sa faculté de penser sans se représenter un avenir incertain, qui éveille sa crainte et son espérance. Il ne peut pas réfléchir à ce que la nature lui demande, en tant qu’elle a fait de lui un être sociable, sans se dire qu’il trouverait souvent son avantage à négliger les autres, à ne se soucier que de lui-même. Dans les deux cas il y aurait rupture de l’ordre normal, naturel. Et pourtant c’est la nature qui a voulu l’intelligence, qui l’a mise au bout de l’une des deux grandes lignes de l’évolution animale pour faire pendant à l’instinct le plus parfait, point terminus de l’autre. Il est impossible qu’elle n’ait pas pris ses précautions pour que l’ordre, à peine dérangé par l’intelligence, tende à se rétablir automatiquement. Par le fait, la fonction fabulatrice, qui appartient à l’intelligence et qui n’est pourtant pas intelligence pure, a précisément cet objet.” (C’est moi qui souligne.). Cf. aussi p. 134 : “(…) la nature n’a d’autre ressource alors que d’opposer l’intelligence à l’intelligence. La représentation intellectuelle qui rétablit ainsi l’équilibre au profit de la nature est d’ordre religieux.” DS/Q., p. 127 et p. 137 DS/Q., p. 127 DS/Q., p. 137.

(13) La notion d’élan vital dans Les deux sources de la morale et de la religion de Henri Bergson 147. l’homme le mouvement de la vie”44 et de ce fait “contrarie l’intention de la nature”45. En résumé, “la religion primitive (…) est une précaution contre le danger que l’on court, dès qu’on pense, de ne penser qu’à soi. C’est donc bien une réaction défensive de la nature contre l’intelligence.”46. L’acte constitutif de la “religion statique” est bien dû à “la nature” comme manifestation d’une œuvre créatrice provenant cependant d’un “arrêt de l’élan créateur” 47 : il s’agit bien encore d’une sorte de “modus vivendi”, puisque “la nature”, qui, dans le cas des sociétés humaines, doit compter avec l’intelligence, fait appel, pour faire “contrepoids”48 à l’intelligence, à un “instinct virtuel”, la “fonction fabulatrice”, d’où dérive la “religion statique”. C’est pourquoi cette religion, telle qu’elle se manifeste dans les sociétés humaines “primitives”, n’entretient avec “l’élan vital” qu’une relation indirecte, puisqu’il faut, pour la constituer, la médiation de “la nature”. Mais, dans l’histoire de l’évolution, l’intervention de “la nature” correspond aussi toujours à un mouvement de “clôture”. Si donc la “religion statique” est, avec la “morale de pression”, constitutive des sociétés humaines, c’est en tant qu’elle les constitue comme “closes”. *. *. *. “Morale de pression” (qui “entre dans le plan de la nature”) et “religion statique” (ou “naturelle”) ont une seule et même source, celle même qui est constitutive des sociétés closes : “la nature”, qui semble avoir dans la 44. 45 46 47. 48. DS/Q., p. 136. (Cf. aussi p. 223 : “La religion est ce qui doit combler, chez des êtres doués de réflexion, un déficit éventuel de l’attachement à la vie.”) DS/Q., p. 136 DS/Q., p. 128 DS/Q., p. 222-223 : “(…) la nature (…) ne fait pas les êtres de pièces et de morceaux : ce qui est multiple dans sa manifestation peut être simple dans sa genèse. Une espèce qui surgit apporte avec elle, dans l’indivisibilité de l’acte qui la pose, tout le détail de ce qui la rend viable. L’arrêt même de l’élan créateur qui s’est traduit par l’apparition de notre espèce a donné avec l’intelligence humaine, à l’intérieur de l’intelligence humaine, la fonction fabulatrice qui élabore les religions. Tel est donc le rôle, telle est la signification de la religion que nous avons appelée statique ou naturelle.” DS/Q., p. 124 : “Si l’intelligence menace maintenant de rompre sur certains point la cohésion sociale, et si la société doit subsister, il faut que, sur ces points, il y ait à l’intelligence un contrepoids.”.

(14) 148. NTU Studies in Language and Literature. pensée de Bergson le statut ambigu d’une œuvre créatrice résultant paradoxalement d’un arrêt de l’élan créateur (qui n’est autre que “l’élan vital”). “Morale de pression” et “religion statique” ont toutes deux la fonction, “voulue par la nature”, de “maintenir la vie sociale”49 en conservant et en resserrant “le lien entre les membres d’une société déterminée”50. Si, du moins à l’origine, elles ont une fonction identique51, c’est parce qu’elles sont nées d’une même source. Toutes deux, en tout cas, en vertu de leur source commune, sont “constitutives de la société close”52. Mais cette “clôture” même implique qu’elles n’entretiennent plus avec l’élan créateur qu’une relation en quelque sorte indirecte, médiatisée par “la nature”. Elles ne constituent donc qu’une source de la morale et de la religion53, qui ne deviennent “complètes” que quand elles se replacent directement dans le mouvement et la direction de l’élan vital.. II La “coïncidence” avec le mouvement de l’élan vital  deuxième source de la morale et de la religion Les sociétés humaines résultent d’un double phénomène de clôture et d’arrêt qui constitue la première source de la morale et de la religion. “Morale de pression” et “religion statique” permettent aux sociétés humaines de se conserver, mais non d’évoluer, de progresser  ce qui est propre au mouvement de l’élan vital. Or cet élan vital qui semble avoir confié les sociétés humaines aux “mains de la nature” ne les a pas entièrement quittées, il reste présent en elles, puisqu’il est leur vie même. C’est en effet le même élan qui se communique, soit “par l’intermédiaire des mécanismes qu’il [a] montés”, soit “directement”54, de la manière que nous allons voir. 49 50 51 52. 53 54. DS/Q., p. 217 DS/Q., p. 218 DS/Q., p. 128, 218 DS/Q., p. 284 : “Cette religion, que nous avons appelée statique, et cette obligation, qui consiste en une pression, sont constitutives de la société close.” Bergson parle, à propos de la morale, de “la première moitié de la morale” (DS/Q. p. 54). DS/Q., p. 53 : “le principe de propulsion intervient directement, et non plus par l’intermédiaire des.

(15) La notion d’élan vital dans Les deux sources de la morale et de la religion de Henri Bergson 149. Retrouver cette vitalité même, et, en se replaçant “dans l’élan même de la vie”55, se libérer des obstacles que finissent pas devenir la “morale de pression” et la “religion statique”: c’est en cela que va consister la deuxième source de la morale et de la religion.. II 1La “morale d’aspiration” : l’ouverture à l’humanité entière Une distinction importante que fait Bergson dans DS, et qui est étroitement liée à sa conception des deux sources de la morale et de la religion, est la distinction entre sociétés closes et société ouverte. La distinction entre le clos et l’ouvert apparaît dès EC ; elle se rattache à la cosmologie de Bergson et à sa théorie de l’évolution selon laquelle la réalité est faite de deux mouvement opposés, celui de la vie  c’est-à-dire l’élan vital lui-même  et celui de la matière56, et nous avons vu que c’est de la rencontre de ces deux mouvements, rencontre que Bergson désigne comme “un modus vivendi, qui est précisément l’organisation”57, que naissent les organismes  individus et sociétés. Pour que l’humanité puisse se libérer des limites que lui assigne “la nature” en l’enfermant dans la circularité des “sociétés closes” où, sous l’effet de la “morale de pression”, l’individu tend à se réduire à son “moi social”, il faut que des “individualités privilégiées”58, qui “se sont replacées. 55 56. 57. 58. mécanismes qu’il avait montés, auxquels il s’était arrêté provisoirement.” (C’est moi qui souligne). DS/Q., p. 291 Cf. EC/Q. p. 186 : “Il n’y a en réalité qu’un certain courant d’existence et le courant antagoniste ; de là toute l’évolution de la vie.”, p. 246 : “Toutes nos analyses nous montrent en effet dans la vie un effort pour remonter la pente que la matière descend.”, p. 248 : “L’évolution des espèces vivantes à l’intérieur de ce monde représente ce qui subsiste de la direction primitive du jet originel, et d’une impulsion qui se continue en sens inverse de la matérialité.”, p. 250 (déjà cité, note 8). Dans DS, on trouve des rappels du processus selon lequel ont été formés les organismes et les espèces ; par exemple aux p. 55 (l’élan propre à la vie “rencontre des obstacles”), 222 (“l’arrêt même de l’élan créateur…”). EC/Q. p. 250, déjà cité. Cf. aussi DS/Q. p. 221 (les deux aspects du “travail d’organisation” : “acte simple” dont les effets apparaissent comme “une multitude d’éléments se coordonnant pour accomplir une multitude de fonctions”). “Individualités privilégiées” (p. 48, 103) ; “personnalité privilégiée” (p. 30), “homme privilégié”.

(16) 150. NTU Studies in Language and Literature. dans la direction de l’élan vital”59 , “forcent les barrières de la cité” et entraînent l’humanité à leur suite. Tels sont “les fondateurs et réformateurs de religions”, les “mystiques” et les “saints”60, et aussi “les héros obscurs de la vie morale que nous avons pu rencontrer sur notre chemin”61 : Bergson les appelle “les grands entraîneurs de l’humanité”62. C’est en “se replaçant dans l’élan même de la vie”63 qu’ils ont réussi à “rouvrir ce qui avait été clos” 64 . Par leur enthousiasme communicatif, ils ont entraîné d’autres hommes dans une “marche en avant”65. C’est dire que l’ouverture va de pair avec le dynamisme, le mouvement qui va dans le sens de l’élan vital, c’est-à-dire de la nouveauté, de la création, de l’évolution. En retrouvant l’élan vital, “l’âme qui s’ouvre”66 se trouve unie à “l’humanité tout entière”67, pour former la “société ouverte”68 (au singulier, puisqu’il s’agit d’ “une société unique, embrassant tous les hommes”69). Mais il s’agit là d’une société en voie de réalisation ; la “société humaine” n’est pas “dès à présent réalisée”70, elle reste encore un idéal ; une telle société serait une “société mystique”71 où la morale serait “humaine, au lieu d’être seulement sociale”72. L’ouverture de la société n’est rendue possible que par l’action de certaines “individualités privilégiées” qui font faire à la société “un bond en avant” : “C’est un bond en avant, qui ne s’exécute que si la société s’est décidée à tenter une expérience ; il faut pour cela qu’elle se soit laissé. 59. 60 61 62 63 64 65 66 67 68. 69 70 71 72. (p. 226), “âmes privilégiées” (p. 97, et p. 74 : “(…) et il y avait là un cercle dont on ne serait pas sorti si une ou plusieurs âmes privilégiées, ayant dilaté en elles l’âme sociale, n’avaient brisé le cercle en entraînant la société derrière elles.”) DS/Q., p. 55 : “Les grands entraîneurs de l’humanité, qui ont forcé les barrières de la cité, semblent bien s’être replacés par là dans la direction de l’élan vital.” DS/Q., p. 47, 49 DS/Q., p. 47 DS/Q., p. 55 DS/Q., p. 291 DS/Q., p. 56 ; cf. aussi p. 285 : “ouvrir ce qui était clos”. DS/Q., p. 49, 50, 57 DS/Q., p. 50, 57 DS/Q., p. 25 DS/Q. Cf. aussi p. 284 : “La société ouverte est celle qui embrasserait en principe l’humanité entière.” DS/Q., p. 97 DS/Q. p. 25 DS/Q., p. 85 DS/Q., p. 31.

(17) La notion d’élan vital dans Les deux sources de la morale et de la religion de Henri Bergson 151. convaincre ou tout au moins ébranler ; et le branle a toujours été donné par quelqu’un.”73. Au contraire de la “morale de pression”, qui était impersonnelle, cette nouvelle forme de morale est due à l’initiative personnelle de “grands hommes de bien”74 qui n’agissent pas sur la société par “pression”, mais en éveillant en d’autres individus, au “fond de leur âme”75, une “aspiration” à les rejoindre dans le dynamisme créateur de l’élan vital : c’est que “leur existence est un appel”76. Cette morale, en effet, fait appel à la liberté de chaque individu, et elle s’exerce par “attraction”77, par “l’attrait”78 de l’exemple ; son ressort, ce n’est pas l’habitude, c’est “l’imitation d’un modèle”79, et cette imitation est, de la part d’un “moi individuel”, la réponse à “l’appel d’une personnalité”80 qui l’a éveillé. Pour mieux faire ressortir la spécificité de cette morale, Bergson l’oppose à la “morale de pression” fondée sur l’obligation : “Tandis que la première [morale] est d’autant plus pure et plus parfaite qu’elle se ramène mieux à des formules impersonnelles, la seconde, pour être pleinement elle-même, doit s’incarner dans une personnalité privilégiée qui devient un exemple. La généralité de l’une tient à l’universelle acceptation d’une loi, celle de l’autre à la commune imitation d’un modèle.(…) Tandis que l’obligation naturelle est pression ou poussée, dans la morale complète et parfaite il y a un appel.”81 ; c’est pourquoi Bergson la désigne aussi comme 73 74 75. 76 77 78 79 80 81. DS/Q., p. 74 DS/Q., p. 30, 98 Bergson parle du “fond de soi-même” (DS/Q. p. 8), du “fond de l’âme” (DS/Q. p. 30) ; et aussi du “fond de soi” (p. 46) :, du “fond de notre âme” (p. 67), pour désigner la partie la plus profonde du “moi individuel”. DS/Q., p. 30 DS/Q., p. 85 Cf. DS/Q. p. 46, 98 : “attrait” DS/Q., p. 30. Sur l’imitation : cf. DS/Q. p. 30, 47, 51… DS/Q. p. 102 DS/Q., pp. 29-30. Cf. p. 333 : “l’appel du héros”. Cf. aussi p. 102 : “Dans le premier cas, la personne s’attache à l’impersonnel et vise à s’y insérer. Ici, elle répond à l’appel d’une personnalité (…)” ; p. 85 : Bergson oppose “un système d’ordres dictés par des exigences sociales impersonnelles, et un ensemble d’appels lancés à la conscience de chacun de nous par des personnes qui représentent ce qu’il y eut de meilleur dans l’humanité.”; p. 99, Bergson applique les deux formes de morale à l’éducation, et obtient deux formes d’éducation : par le “dressage”, “on inculque une morale faite d’habitudes impersonnelles”, et par la “mysticité”, “on obtient l’imitation d’une personne (…)”..

(18) 152. NTU Studies in Language and Literature. la “morale d’aspiration”82, par opposition à la “morale de pression”. C’est que la “force” de cette morale n’est pas coercitive ; son attrait, elle l’exerce par la communication d’une “émotion” créatrice qui est “exigence d’action”83, “exigence de création”84 : “L’émotion créatrice qui soulevait ces âmes privilégiées, et qui était débordement de vitalité, s’est répandue autour d’elles : enthousiastes, elles rayonnaient un enthousiasme qui ne s’est jamais complètement éteint et qui peut toujours retrouver sa flamme.”85. Si cette émotion peut rayonner et se répandre, c’est qu’elle résulte d’une “coïncidence”86, d’un “contact”87 avec l’élan vital, qui est énergie créatrice, et c’est de lui qu’elle tire son efficience, sa capacité à se communiquer : “L’efficacité de l’appel tient à la puissance de l’émotion qui fut jadis provoquée, qui l’est encore ou qui pourrait l’être.”88. Il faut préciser que cette émotion, étant contact avec l’élan vital, est Bergson distingue en effet deux espèces “supra-intellectuelle” 89 . d’émotion90. Au contraire de l’émotion “infra-intellectuelle”, qui n’est que “l’agitation de la sensibilité par une représentation qui y tombe”, l’émotion créatrice n’est autre que l’intuition qui préside au travail de composition littéraire et qui fournit à Bergson, en maints endroits de son œuvre, un point de comparaison avec l’élan vital. Cette émotion est créatrice, parce qu’elle “rompt avec la nature”91, elle “remonte la pente de la nature”92 et va ainsi dans le sens de la vie, qui est créatrice par essence ; elle est même “apparentée à l’acte créateur” 93 . Cette émotion se communique, non. 82 83 84 85 86. 87. 88 89 90 91 92 93. Sur l’opposition entre “pression” et “aspiration” : cf. DS/Q. p. 48, 58 DS/Q. p. 36 DS/Q., p. 44 DS/Q., p. 97-98 DS/Q., p. 51, 52 (“coïncidence”) : “En approfondissant ce nouvel aspect de la morale, on y trouverait le sentiment d’une coïncidence, réelle ou illusoire, avec l’effort générateur de la vie.” ; p. 238 (“un effort pour coïncider avec l’élan créateur”  mais il s’agit ici du mysticisme) DS/Q., p. 52, p. 227 (“contact avec le principe même de la nature”), p. 233 (mais dans ce dernier cas, il s’agit déjà de “l’aboutissement du mysticisme”, dont nous parlerons plus loin). DS/Q., p. 85 DS/Q., p. 41 DS/Q., p. 40, et aussi p. 85 DS/Q., p. 50, (56) Expression qui se trouve dans PM/Q. p. 41, 103 Ibid., p. 51.

(19) La notion d’élan vital dans Les deux sources de la morale et de la religion de Henri Bergson 153. seulement parce qu’elle est “communicative comme toute émotion”94, mais aussi parce que l’élan vital créateur avec lequel elle coïncide, le “principe générateur de l’espèce humaine” au “contact”95 duquel elle naît, est un “élan d’amour”96 qui rend “entraînant”97 l’exemple des “âmes privilégiées” par lesquelles se communique cet élan. Ces “âmes privilégiées”, ce sont “les âmes mystiques qui ont entraîné et entraînent encore dans leur mouvement les sociétés civilisées”. Avec elles, nous entrons déjà dans le domaine du “mysticisme”, mais nous voyons comment la “morale d’aspiration” est une morale “dynamique”98, épithète qu’elle partage avec la “religion dynamique”, qui du reste n’est autre que le “mysticisme vrai”, dans lequel Bergson voit la deuxième source de la religion.. II 2La “religion dynamique” (“mysticisme vrai”) : la création d’une humanité nouvelle La “religion dynamique”, avec la “morale d’aspiration”, constitue donc la deuxième forme de la morale et de la religion : toutes deux témoignent d’une “rupture avec la nature” ; elles partagent donc les deux caractéristiques fondamentales que l’on voit apparaître au cours de l’histoire de l’humanité, et qui “n’entrent pas dans le plan de la nature” : - l’ouverture (hors de la circularité qui lie l’individu à la société, “hors de la cité”, c’est-à-dire hors de la “société close”), et - le dynamisme, qui est mouvement dans la direction de l’élan vital, “coïncidence” avec lui, et qui est donc créateur, comme l’élan vital lui-même.. 94 95. 96. 97. 98. DS/Q. p. 51 DS/Q., p. 52 : “c’est toujours dans un contact avec le principe générateur de l’espèce humaine qu’on s’est senti puiser la force d’aimer l’humanité.” DS/Q., p. 97, 102, 225 (et aussi pp. 248-249-250, mais ces dernières pages évoquent les mystiques et “l’amour mystique de l’humanité”, dont nous parlerons plus loin). DS/Q. p. 98 : “Aujourd’hui, quand nous ressuscitons par la pensée ces grands hommes de bien, (…) nous sentons qu’ils nous communiquent de leur ardeur et qu’ils nous entraînent dans leur mouvement.” . Cf. aussi p. 51, à propos de “l’héroïsme” (héroïsme moral  celui des “créateurs moraux” évoqués p. 80) : “il n’a qu’à se montrer, et sa seule présence pourra mettre d’autres hommes en mouvement. C’est qu’il est, lui-même, retour au mouvement, et qu’il émane d’une émotion  communicative comme toute émotion  apparentée à l’acte créateur.” DS/Q., p. 286.

(20) 154. NTU Studies in Language and Literature. C’est du dynamisme que vient l’ouverture, c’est lui qui la garantit. Le dynamisme est donc plus fondamental encore que l’ouverture. Ouverture et dynamisme se manifestent dans l’humanité quand celle-ci, par l’intermédiaire d’ “individus privilégiés”, reprend contact avec l’élan vital, de manière immédiate, directe, c’est-à-dire sans l’intervention de “la nature”, et en se libérant par là même des limites assignées par cette dernière, limites qui sont autant d’ “obstacles” au dynamisme de l’élan. Ainsi est rendue possible une évolution désormais illimitée de l’humanité au-delà du “point”99 (sur la ligne d’évolution de la vie) où “la nature” l’a laissée et où la religion “naturelle” est apparue. Dans cette perspective, qui est celle de la théorie bergsonienne de l’évolution de la vie, on comprend que Bergson définisse le mysticisme par sa relation à l’élan vital100 : il est le mouvement qui prolonge l’évolution créatrice dans l’humanité101. C’est pourquoi seule une forme bien précise de mysticisme correspond à la définition bergsonienne, qui fournit un critère pour distinguer ce que Bergson considère comme le mysticisme “vrai” et “complet” de ses formes inachevées ou de ses imitations pathologiques. La première partie du chapitre sur la “religion dynamique” est donc consacrée à l’élimination des formes de mysticisme qui n’entrent pas complètement, ou pas vraiment, dans le cadre de la définition bergsonienne. En effet, le “vrai mysticisme” est “rare”102. Il représente une situation idéale : la morale et la religion qui se pratiquent généralement dans notre société actuelle sont des “mixtes”103, juxtaposition104 de “pression” et d’ “aspiration” (dans le domaine de la morale), amalgame de “religion statique” et de “religion dynamique” (dans le domaine de la religion”). 99. DS/Q., p. 221 DS/Q., pp. 224-225 101 On peut se reporter à certaines pages de EC qui annoncent DS : par exemple EC/Q., pp. 265-266 ; p. 269 à 271 ; pp. 368-369. 102 DS/Q., p. 225 : “En le définissant par sa relation à l’élan vital, nous avons implicitement admis que le vrai mysticisme était rare.” Cf. aussi p. 226 : “c’est en vertu de son essence même que le vrai mysticisme est exceptionnel.” 103 Sur les “mixtes”, en morale et en religion, cf. ANNEXE 1. 104 DS/Q., p. 47 : “Ces deux morales juxtaposées semblent maintenant ne plus en faire qu’une…” 100.

(21) La notion d’élan vital dans Les deux sources de la morale et de la religion de Henri Bergson 155. C’est que le “vrai mysticisme” marque un aboutissement : “il se situe (…) en un point jusqu’où le courant spirituel lancé à travers la matière aurait probablement voulu, jusqu’où il n’a pu aller. Car (…) on ne comprend l’évolution de la vie (…) que si on la voit à la recherche de quelque chose d’inaccessible à quoi le grand mystique atteint.”105 Mais avant d’étudier comment le “vrai mysticisme” atteint ce point de l’évolution, Bergson examine “rétrospectivement” les efforts pour aboutir à ce “mysticisme complet”, c’est-à-dire les cas où “l’élan” a manqué, où il a été “insuffisant” ou “contrarié”106 : il s’agit du mysticisme grec, depuis “les mystères éleusiniens et le Dionysos de l’orphisme” jusqu’à Plotin, et du mysticisme de l’Inde, depuis le “yoga” jusqu’à l’illumination et à la compassion bouddhistes. Dans les deux cas, le mysticisme est resté “incomplet”, car il s’est arrêté à la contemplation, il lui a manqué de se traduire ou de s’épanouir en action 107 ; or “le mysticisme complet est action”108. Le mysticisme grec est resté prisonnier de son “intellectualité”109. Il semblerait d’après Bergson que l’Inde, surtout avec le Bouddhisme110, se soit avancée plus loin que les Grecs sur le chemin du “vrai mysticisme”, car on trouve une forme de charité dans le Bouddhisme111. Mais Bergson a le sentiment qu’“il a manqué de chaleur”, parce qu’“il n’a pas cru à l’efficacité de l’action humaine. Il n’a pas eu confiance en elle.”112. Un peu plus loin, Bergson invoque le “pessimisme” dû au sentiment d’impuissance de l’homme “écrasé par la nature”113. Dans le cas du mysticisme oriental, c’est donc par des “circonstances matérielles” que “l’élan” vers le “mysticisme complet” a été “contrarié”114. On peut remarquer que les deux raisons alléguées par Bergson pour expliquer l’insuffisance d’élan des mysticismes grec et oriental relèvent de l’intellectualité et de la matérialité : ce sont là précisément deux “obstacles” à l’élan vital, dans la théorie bergsonienne de l’évolution de la vie ! 105. DS/Q., p. 226 DS/Q., p. 229, 236, 240 (conclusion de la discussion). 107 “s’abîmer dans l’action” (DS/Q., p. 234, à propos de Plotin). 108 DS/Q., p. 240 109 DS/Q., p. 234 et 240 : “intellectualité trop étroite”. 110 Qui d’ailleurs s’est répandu bien au-delà de l’Inde, où il a fini par devenir une religion minoritaire. 111 DS/Q., p. 239 112 DS/Q. p. 239 113 Ibid. 114 DS/Q., p. 240 106.

(22) 156. NTU Studies in Language and Literature. La troisième forme de mysticisme, celle qui satisfait aux critères retenus par Bergson, et celle à laquelle il veut en venir, est le mysticisme chrétien, le seul qui, à son sens, soit “complet”, parce qu’il est intimement lié à l’action. Mais Bergson prend soin de mettre à part les manifestations pathologiques du mysticisme. Celles-ci ne sont que des contrefaçons qui ne laissent en rien préjuger de la signification intrinsèque du “vrai mysticisme” 115 . Les expressions “vrai mysticisme” et “mysticisme vrai” se réfèrent donc à l’intention de Bergson de bien distinguer ce “faux” mysticisme du “vrai mysticisme” des grands mystiques, qui “se révèlent grand hommes d’action”116, et qui se caractérisent précisément par “une puissance de conception et de réalisation extraordinaire”117, et “un bon sens supérieur”118, preuves d’une “santé intellectuelle”, d’une “robustesse intellectuelle” 119 évidentes. Ayant distingué le “vrai” mysticisme du “faux” mysticisme des malades120, Bergson peut maintenant entrer dans le cœur de son sujet : le “mysticisme complet”. Bergson le désigne ainsi, pour le distinguer des formes de mysticisme restées en chemin121 : celles qui se sont “arrêtées” à la contemplation ou à l’extase, et n’ont pas abouti à l’action. Pourquoi et comment le “mysticisme complet” est-il action ? En ce qui concerne la relation entre le “vrai mysticisme” et l’action, trois points retiendront notre attention : 1) “Supra-intellectualité” du contact avec l’élan vital et vitalité. C’est au contact122 de l’élan vital que le “vrai mysticisme” puise la vitalité qu’il traduit en action : “un immense courant de vie les a ressaisis ; de 115. DS/Q., p. 242 : “Un fou se croira empereur ; (…) en rejaillira-t-il quelque chose sur Napoléon ? On pourra aussi bien parodier le mysticisme, et il y aura une folie mystique : suivra-t-il de là que le mysticisme soit folie ?” 116 “à la surprise de ceux pour qui le mysticisme n’est que vision, transport, extase.” (DS/Q., p. 101) 117 DS/Q., p. 241 118 Ibid. 119 DS/Q. p. 242 120 DS/Q. p. 241 121 DS/Q. p. 238, 244, 246 122 DS/Q. p. 233 : “A nos yeux, l’aboutissement du mysticisme est une prise de contact, et par conséquent une coïncidence partielle, avec l’effort créateur que manifeste la vie. Cet effort est de Dieu, si ce n’est pas Dieu lui-même.” (C’est moi qui souligne.)..

(23) La notion d’élan vital dans Les deux sources de la morale et de la religion de Henri Bergson 157. leur vitalité accrue s’est dégagée une énergie, une audace, une puissance de conception et de réalisation extraordinaires.”123. Cette vitalité, le mystique la reçoit parce que son contact avec l’élan vital le fait accéder au “supra-intellectuel”124 qui est “le pur dynamique”125, la vie dans ce qu’elle a de jaillissant : c’est le domaine de “l’émotion supra-intellectuelle” que nous avons vu “entraîner” les hommes hors de la “morale de l’âme close”. Pour devenir dynamique lui-même, et donc agissant, le mysticisme doit en effet transcender l’intellectualité. Tout ce qui relève de l’intellectualité, de la “représentation intellectuelle”, n’est déjà qu’une retombée, un “affaiblissement du principe”126 (générateur de la vie). Il est intéressant de noter que, pour Bergson, les visions et les extases,  et même la contemplation , appartiennent encore au domaine de l’intellectualité, et restent par conséquent encore prisonnières de “la nature”127. C’est pourquoi le mysticisme seulement “contemplatif” n’est pas un mysticisme “complet” : c’est le cas pour Plotin, qui “alla jusqu’à l’extase”,. 123. DS/Q. p. 241 ; cf. aussi p. 246 : “(…) c’est désormais, pour l’âme, une surabondance de vie. C’est un immense élan. C’est une poussée irrésistible qui la jette dans les plus vastes entreprises. (…)” , “(…) la surabondance de vitalité qu’elle réclame coule d’une source qui est celle même de la vie.” ; p. 247 : “Il a senti la vérité couler en lui de sa source comme une force agissante.” Pour en revenir au “faux” mysticisme (pathologique), on peut dire qu’il entre aussi dans la catégorie du mysticisme “incomplet”, dans la mesure où les manifestations de ce mysticisme ne sont pas réellement dues à une prise de contact avec l’élan créateur, qui seule communique la “vitalité” permettant aux grands mystiques de déployer leur “activité surabondante” (DS/Q. p. 241 : “activités surabondantes”). Et Bergson cite les noms de saint Paul, sainte Thérèse, sainte Catherine de Sienne, saint François, Jeanne d’Arc. Ainsi, le mysticisme n’est “vrai” que s’il est “complet”, c’est-à-dire s’il s’exprime en une action réelle, efficace. Le mysticisme tel que le conçoit Bergson est donc indissociablement “vrai” et “complet”  “vrai”, parce que “complet”. 124 Et, par là, lui fait transcender l’intelligence. Pour Bergson, le mysticisme, même “à l’état d’ébauche” (DS/Q., p. 236), est “un effort pour aller chercher, par delà l’intelligence, une vision, un contact, la révélation d’une réalité transcendante” (DS/Q., p. 232) (c’est moi qui souligne) ; cf. aussi : “(…) des vision, des extases, suspendant la fonction critique de l’intelligence” (DS/Q., p. 236) (c’est moi qui souligne). 125 DS/Q., p. 63 126 DS/Q., p. 224 : “(…) nous savons qu’autour de l’intelligence est restée une frange d’intuition, vague et évanouissante. Ne pourrait-on pas la fixer, l’intensifier, et surtout la compléter en action, car elle n’est devenue pure vision que par un affaiblissement de son principe et, si l’on peut s’exprimer ainsi, par une abstraction pratiquée sur elle-même ?”. 127 Elles constituent tout ce qui, dans l’âme mystique, “n’est pas assez pur, assez résistant et souple, pour que Dieu l’utilise” (DS/Q. p. 246), c’est-à-dire tout ce qui fait encore “obstacle” à l’action  à cette “activité divine” (p. 246) qui rend le vrai mystique “agissant”..

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