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亂倫禁忌與犧牲儀式:雨連.格林的短篇小說《克麗絲汀》研究

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Academic year: 2021

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(1)外國語文研究第十二期 2010 年 06 月頁 23~41. 亂倫禁忌與犧牲儀式: 雨連〃格林的短篇小說《克麗絲汀》研究 林德祐*. 中文摘要 本文研究雨連〃格林(1900-1998)的一個短篇小說《克麗絲汀》。敘述者尚 (Jean)以第一人稱觀點,回溯自己經歷過的一段精神上的戀曲,圍繞在三位女 性之間:母親、姨母、表妹。對正走入青春期的主人翁,這「三位一體」各代表 一種誘引力。相對於對克麗絲汀的慾望乃建立於年齡相仿的兩小無猜模式,有歷 史、文化符碼的參照仿效,對姨母的慾望不但沉潛,不可招供,因為觸及亂倫。 在理論的實踐上,除了運用弗洛伊德以替代物的方式解決伊底帕斯戀母禁忌的閹 割恐慌,本文主要採用赫內〃吉哈爾的「擬仿慾望」理論,試圖解析兩小無猜的 愛情乃建立於對「中介」之仿效。故事中的姨母,既是母親的替代象徵,也是慾 望物的指引者,激發主人翁模仿的衝動與敵對的衝突。透過「擬仿慾望」理論, 我們不但可以窺見這道慾望弔詭的邏輯,更可在女主角之死瞥見以如私刑處死的 替罪羔羊機制。. 關鍵詞:擬仿慾望、雙重中介、替罪羔羊、亂倫禁忌. *. 淡江大學法文系兼任助理教授 98.10.09 到稿 99.04.28 通過刊登.

(2) 24. 外國語文研究第十二期. Incestuous taboo and sacrifice in Julien Green’s novel “Christine” Te-Yu Lin*. Abstract This article discussed Julien Green’s(1900-1998)first novel, “Christine” , in which the main character (Jean) recalled his spiritual relationships with three females – his mother, ante and cousin. While Jean’s emotions for his cousin (Christine) were idyllic, his desire toward his ante was implicit, unspeakable and incestuous. Despite precedent critics that adapted Freud’s theory of castration anxiety to explain Julien Green’s work, this article draws on René Girard’s theory of mimetic desire to illustrate Jean’s spiritual relationships with the three females. Jean’s love with Christine, illuminated by Girard’s theory, is considered as a “doubled” relationship with his mother (or the substitute of mother), or with his ante who behaved as the model, functioned as an indicator of what to desire, whose desire for the same object is imitated. Girard considered Mother as the woman in power, symbolically as the threat of castration to the hero, which generated the impulsive motif of imitation and the ontological conflict between antagonists by the end. Through the mimetic aspect, we detected that desire was regarded as the key to the system of relationships and the cause of violence; the death of heroine as a result of the scapegoat mechanism.. Key Words: Mimetic desire, Double bind, Scapegoat, Incestuous taboo. *. Part-time assistant professor, Department of French, Tamkang University..

(3) 亂倫禁忌與犧牲儀式:雨連.格林的短篇小說《克麗絲汀》研究 25. Tabou incestueux et rite sacrificiel dans Christine de Julien Green Te-Yu Lin Introduction Julien Green (1900-1998) débute sa carrière de romancier par la nouvelle Christine, publiée en 1924 chez Plon. Bien que de volume mince, cette œuvre annonce de manière éminente le thème fondamental qui sous-tend son univers romanesque, celui de la beauté mystérieuse. Susceptible d’inspirer l’élan spirituel au plus profond de l’être humain, la beauté, chez notre romancier, est capable surtout de susciter le désir le plus diabolique, transformant les amants en criminels, les poussant à accomplir des actes homicides et autodestructeurs. L’histoire de Christine se résume facilement : Jean, narrateur-héros, raconte l’histoire de sa rencontre avec Christine qui s’est déroulée à l’âge de treize ans. Alors qu’il vivait seul avec sa mère, sa tante s’est installée un jour chez eux, accompagnée d’une jeune fille dont la beauté l’a perturbé. La mère et la tante s’efforcent de tenir Christine captive, non sans empêcher Jean de s’approcher de la chambre secrète où se trouve recluse la jeune fille. Rebelle à l’ordre étrange des grandes personnes, Jean va faire tout pour revoir Christine au mépris de l’interdiction qui lui est imposée. Néanmoins, durant deux semaines, ses tentatives sont vouées à l’échec car une surveillance étroite a été mise en place. Enfin, profitant de l’absence des deux femmes, Jean se dirige vers la chambre interdite et tente de persuader Christine de lui ouvrir la porte mais en vain, la jeune fille paraissant sourde à son appel. Désireux de la rejoindre à tout prix, il a l’idée de lui offrir, comme dans une négociation, un petit anneau d’or orné d’un saphir. Jean le glissant sous la porte, Christine ne tarde pas à s’en emparer pour le passer à son doigt. L’épisode tourne au drame : ayant passé la bague à un mauvais doigt, Christine n’arrive plus à l’enlever et se met à crier fébrilement. Pris de peur, ayant conscience de la gravité de la situation, Jean se sauve et se réfugie dans sa propre chambre. Le lendemain, Christine, dont le visage est caché par une grande capeline, repart avec sa tante, la bague toujours à son doigt. Deux ans plus tard, la tante seule rend visite à la mère. À son doigt, Jean reconnaît le petit saphir, celui-là même qu’il avait offert à Christine. Le récit est scandé de temps à autre par des élans lyriques, pétri d’une mélancolie onirique propre aux poètes symbolistes. La pesanteur mystérieuse qui domine Christine rehausse l’aspect impalpable et irréel de la beauté. En écrivant cette histoire,.

(4) 26. 外國語文研究第十二期. Green vise à restituer un climat mystique dans lequel se développe, sans médiation aucune, un ravissement venu ex nihilo, à l’image de la beauté de Christine qui défie le pouvoir du langage. Néanmoins, derrière ce mythe de la beauté se profile, obscur et méconnu, le processus mimétique qui constitue une piste efficace pour éclairer l’univers romanesque de Julien Green. À côté du désir d’épiphanie de la beauté, on n’en discerne pas moins un désir contaminé par la convoitise des autres. Pour René Girard, la littérature est souvent le lieu où véhiculent et survivent les mythes. Elle dissimule le processus mimétique et ses conséquences violentes pour perpétuer le mythe romantique où le désir est synonyme de la spontanéité. Christine nous permet de jauger l’habileté du romancier qui, sous l’apparence d’un mythe de la beauté, met en lumière la nature mimétique du désir qui sous-tend son héros.. 1. La cellule œdipienne Avant sa rencontre avec Christine, Jean vit tout seul avec sa mère dans une symbiose tranquille. Cette coexistence entre mère et fils est d’autant plus tranquille que l’auteur a créé pour eux un environnement favorable où le père est radicalement absent ; pas une seule fois le narrateur ne fait mention de son père. Jean peut donc jouir d’une intimité paisible avec sa mère sans avoir à affronter le conflit entre père et fils. Et cette absence paternelle affermit en quelque sorte l’union mère-fils. Jean demeure très marqué par sa mère dont les instructions religieuses dictent sa conduite. Néanmoins, si la présence du père est entièrement éclipsée, l’auteur semble lui substituer la présence obsédante du Père. Si le père et ce qu’il implique représentent une case vide, il y a comme un trop-plein autour de « Dieu » qui n’est pas sans exercer une influence sur la conduite de Jean. La maison puritaine porte l’empreinte perpétuelle de Dieu qui s’imprime fortement dans la mémoire de Jean. « Il n’est pas un aspect de la vieille maison puritaine dont mon esprit n’ait gardé une image distincte, pas un meuble dont ma main ne retrouverait tout de suite les secrets et les défauts, et j’éprouverais, je crois, les mêmes joies qu’autrefois et les mêmes terreurs à suivre les longs couloirs aux plafonds surbaissés, et à relire au-dessus des portes qu’un bras d’enfant fait mouvoir avec peine les préceptes en lettres gothiques, tirés du livre des Psaumes » (Green 3-4).. La construction de la maison remonte à l’époque où les Pèlerins s’exilent en Amérique pour établir, nous dit le narrateur, « le royaume de Dieu » (Green 3). Elle est donc placée sous le signe de l’austérité puritaine qu’illustrent par excellence les quatre mots inscrits au-dessus de la porte : Espère en Dieu seul. La présence obsédante de ces éléments religieux confère à la demeure une ambiance inquiétante et fantastique qui saisit le héros. Le texte est imprégné d’une idéologie puritaine dans.

(5) 亂倫禁忌與犧牲儀式:雨連.格林的短篇小說《克麗絲汀》研究 27. laquelle les personnages puisent leur code de conduite. Ces éléments qui dénotent la présence de Dieu incarnent pour ainsi dire la voix contraignante du surmoi. Les exhortations bibliques inscrites dans le bâtiment émettent sans cesse le rappel à l’ordre, la réfutation du désir charnel, traduisant une ambiance stricte et rigoureuse. La présence de Dieu et de tout ce qu’il implique d’imposant apparente cette nouvelle aux romans anglo-saxons, où l’ambiance est lourde de contrainte religieuse, auxquels justement Julien Green doit son inspiration littéraire. La discipline puritaine, enseignant l’abdication sentimentale, n’entraîne au bout du compte que l’ennui. Les instructions religieuses, visant à féconder l’esprit et à enrichir l’être en soi, creusent au flanc de l’homme un vide, un sentiment de vacuité. Au climat monotone et monacal de la maison répond le paysage morne et dépouillé du monde extérieur. Cette double platitude accentue le climat étouffant au sein duquel évolue Jean et le conduit à chercher des fissures libératrices. Loin de lui fournir un sentiment de plénitude, la religion ne fait que souligner ou aiguiser la pénurie psychologique de l’être assoiffé de grâce. Sans qu’il en soit conscient, Jean demeure en attente d’une lueur éthérée de salut, concrétisée par l’aura divine de Christine. On comprend alors les propos de Barthes, « l’épisode hypnotique, dit-on, est ordinairement précédé d’un état crépusculaire : le sujet est en quelque sorte vide, disponible, offert sans le savoir au rapt qui va le surprendre » (Fragments d’un discoureux amoureux 225). Dans cette nouvelle, les images de la mère et de Dieu s’imbriquent étroitement. Forte de ses exigences puritaines, la mère est l’instigatrice des lois et des règles à suivre. Contrairement au mythe œdipien où la figure de la mère est associée à l’offre d’amour et invite à la jubilation ou à la jouissance, la mère de Jean joue plutôt le rôle castrateur en raison de ses exigences puritaines. Imbue des dogmes religieux sur lesquels elle appuie la conduite, elle incarne la rigueur, l’autorité et le stoïcisme même et s’érige en gardienne du temple qu’est le corps de son fils. La mère de Jean fait songer inévitablement à celle de Julien Green lui-même. En effet, Mme Green lègue à son fils une morale puritaine et une inhibition de la chair, perpétuant chez son enfant l’attrait spirituel de la religion, l’amour de Dieu. Toutefois, ces mises en gardes ne déclenchent que des résistances contre les exhortations rigoureuses et inexorables et des angoisses de transgresser le code strictement stipulé. La mère incarne de ce fait une figure double et ambivalente : d’une part, en qualité de mère, elle inspire la tendresse, la douceur et l’intimité protectrice auxquelles l’enfant est ravi d’accéder ; d’autre part, en perpétuant les obsessions puritaines qui prônent le mépris du corps, la réfutation de la sexualité, elle incarne la voix surmoïque qui s’enracine dans l’esprit de Jean, non sans exercer sur lui une oppression considérable. On pourrait se référer aux théories de Mélanie Klein, celle,.

(6) 28. 外國語文研究第十二期. entre autres, du clivage de la Bonne Mère et de la Mauvaise Mère. La première incarne la source du plaisir de vie qui procure un sentiment sécurisant à son enfant, tandis que la seconde, effrayante et menaçante, peut à tout moment abandonner ou détruire son enfant impuissant. Par un mécanisme archaïque de projection, l’enfant attribue à la Mère les pulsions d’amour ou de haine qu’il ressent envers elle lorsqu’il se sent tour à tour sécurisé ou abandonné. L’enfant éprouve alors l’envie de détruire cette Mauvaise Mère. Mais ce désir est en même temps une source d’angoisse car, à partir d’un certain stade de développement du petit enfant, la Bonne Mère et la Mauvaise Mère sont toutes deux assimilées l’une à l’autre. Et on voit bien que, dans Christine, le dilemme auquel se heurte le héros est d’avoir à envisager tour à tour les deux images maternelles diamétralement opposées, difficilement réconciliables. Poussée à l’extrême, cette tension périlleuse ne peut être neutralisée que par la persécution finale dont est victime Christine.. 2. La fascination déviée et dissimulée 2.1 L’interdit comme l’indication Lorsque la tante et Christine font irruption dans la vie de Jean, l’union qu’il le lie à sa mère est menacée. Il en ressent d’autant plus d’inquiétude que, depuis l’installation de ces deux personnes, la mère, sans raison, forme avec ses deux hôtes un groupe quasi clandestin dont il est exclu. Dès son arrivée, la tante Judith établit un rapport de familiarité avec la mère à tel point que les deux femmes semblent s’unir à jamais, rendant légitime l’inquiétude de Jean de se voir tenu à l’écart. Le désir de Jean pour Christine s’accompagne de cette angoisse de la privation, mise en œuvre par les deux femmes qui s’obstinent à garder le secret en multipliant les stratégies astucieuses d’exclusion : « À dîner, ma mère et ma tante, pour n’être pas comprises de moi, se mirent à parler en français : c’est une langue qu’elles connaissent bien, mais dont je n’entendais pas un mot » (Green 6). Le moindre changement d’attitude de sa mère n’échappe pas à l’enfant et ne manque pas de relancer ses soupçons. Vulnérable et sensible, l’enfant se sent chassé de son royaume lorsque la mère tente de l’éconduire ou de l’écarter : « Dès l’arrivée de ma tante, ma mère avait pris l’habitude de m’envoyer à Fort-Hope tous les après-midi sous prétexte de m’y faire acheter un journal, mais en réalité, j’en suis sûr, pour m’éloigner de la maison à une heure où Christine devait en sortir et faire une promenade » (Green 7). Plus les deux femmes accumulent les signes d’exclusion, plus Jean est assujetti à la tentation de débusquer ce qui appartient à l’ordre du secret et du non-dit. Dès lors que la mère énonce l’interdit, naît du même coup le désir de transgression, l’interdit et la transgression étant en quelque sorte les deux faces d’une pièce. Si la beauté de Christine occupe bien une place importante dans l’émergence du désir chez Jean, ce.

(7) 亂倫禁忌與犧牲儀式:雨連.格林的短篇小說《克麗絲汀》研究 29. désir va toutefois de pair avec la réticence de la tante Judith et l’interdit de la mère, et s’en nourrit. Les deux femmes jouent alors le double rôle propre à ce que René Girard appelle « la médiation interne », en étant à la fois « instigatrices du désir » et « sentinelles implacables » (Mensonge romantique 45), en d’autres termes, en indiquant l’objet de désir et simultanément en le proscrivant. Le désir qu’éprouve Jean de s’approcher de Christine n’échappe alors nullement au schéma du désir mimétique. Il la désire précisément parce que sa mère et sa tante, par leurs interdits continuels, la lui désignent comme désirable. Les deux femmes emmurent jalousement Christine –, du moins elles persistent à écarter Jean de la jeune fille, ce qui ne fait qu’encourager son envie de rejoindre l’autre côté de la porte où gît l’interdit. Tout se passe comme si la valeur de Christine résidait uniquement dans son statut du tabou. Christine est cloîtrée dans une chambre dont il lui est interdit de s’approcher. Le désir greenien, dans son mécanisme profond, rejoint le désir girardien dans la mesure où le désir de son héros est en effet d’essence jalouse et rivalitaire, en fonction d’un médiateur inhibiteur. Barthes révèle avec perspicace ce mécanisme de l’effet du médiateur : « Le corps qui va être aimé est, à l’avance, cerné, manié par l’objectif, soumis à une sorte d’effet zoom, qui le rapproche, le grossit et amène le sujet à y coller le nez : n’est-il pas l’objet scintillant qu’une main habile fait miroiter devant moi et qui va m’hypnotiser, me capturer ? » (Fragments d’un discours amoureux 163) À quoi répondrait Girard : « Le désir fait grise mine à tout ce qui se montre accueillant, complaisant. Tout ce qui se dérobe, au contraire, l’attire, tout ce qui le repousse le séduit » (La Route antique des hommes pervers 77). 2.2 La gémellité idyllique ou la fascination diabolique À l’arrivée de la tante Judith et de Christine, se forment deux groupes parallèles et symétriques qui se reflètent comme dans un jeu de miroir : Jean est à sa mère ce que Christine est à la tante Judith. En outre, en regroupant les personnages par leur nature et par leur âge, on peut constituer deux autres groupes : le premier est formé par la mère et la tante, tandis que Jean et Christine, en raison de leur âge similaire, constituent le deuxième, symétrique au premier. Judith et la mère partagent bien des traits communs, tant physiquement que mentalement. Elles deviennent immédiatement familières comme si toutes deux se fondaient en une même entité. Jean, lui, se voit à travers Christine dont la situation de prisonnière ressemble à la sienne. Cette prise en compte de la gémellité des personnages nous permet d’apercevoir le mécanisme du désir à l’œuvre chez Jean. L’amour qu’il porte à Christine se présente comme une attention narcissique à lui-même. À l’origine de son désir pour Christine, il y a donc cet amour de lui-même qui relève de l’apitoiement de soi..

(8) 30. 外國語文研究第十二期. L’amour, au stade du miroir, est narcissique et homosexuel. Il est en effet significatif que Jean se préoccupe plus de lui-même que de Christine. Il s’intéresse au parallélisme, à l’analogie plutôt qu’à la complémentarité qu’implique l’union de deux sexes. En outre, la réalité de la sexualité n’est jamais réellement envisagée. Aussi peut-on dire que son amour consiste moins à s’approprier l’objet amoureux qu’à se conquérir soi-même en autrui. Sans être un récit de l’amour malheureux, la conception de la passion dans cette nouvelle peut s’inscrire dans le mythe de Tristan et Iseut où, selon Denis de Rougemont, « chacun n’aime l’autre qu’à partir de soi, non de l’autre » (43). De même, concernant la nature de la modalité narrative, le « je » narrant s’efforce moins d’explorer, dans un parcours d’anamnèse, le mystère de l’objet de désir que de se revoir dans une posture narcissique à travers le miroir de la mémoire spéculative et réfléchissante. L’amant greenien s’inscrit dans cette tradition de l’amant courtois qui, selon la queer theory, appartient à ces « héros tremblants, pionniers d’une longue lignée de phallus geignards, d’hommes fendus en deux » (Cusset 89). Barthes a relevé, dans son étude sur Dominique, cette féminisation du personnage masculin du monde romantique bourgeois, qui résulte de la tentative du décentrement de la sexualité. L’intérêt que le narrateur greenien porte à son tourment, à son malheur d’amour, repose sur cette logique du décentrement de la sexualité où « le mâle a droit à des attitudes ordinairement réputées féminines » (Le Degré Zéro de l’écriture 164). L’émotivité à laquelle s’exhorte l’écriture greenienne est en réalité le substitut de la sexualité, substitut de l’activité érotique. L’accent mis sur la gémellité entre les deux partenaires permet de définir la configuration de l’amour dans l’imaginaire greenien. Il n’est pas illégitime de déceler, chez notre auteur, une espèce de fantasme édénique, de tentative de revenir à l’histoire d’avant la chute, d’avant le clivage des sexes. L’alliance constituée par Adam et È ve, le premier couple dans l’univers biblique, repose, elle aussi, sur une gémellité juvénile. La culture biblique dont est féru le héros fonctionne comme une induction dans le choix de son désir, comme nous le rappelle Roland Barthes : « Tantôt, dans l’autre, c’est la conformité d’un grand modèle culturel qui viendra m’exalter. » (Fragments d’un discours amoureux 226) L’innocence, la pureté et la virginité qu’incarnent ces deux êtres gémellaires asexués vivant au sein de l’Éden constituent des canons en vertu desquels Jean s’identifie à Christine en reconnaissant en elle son double séparé et enfin retrouvé. Il s’agit d’un désir syncrétique, fabriqué selon des notions de l’amour provenant de schémas livresques. À côté de cet idéal idyllique auquel Jean aspire, c’est davantage l’identification diabolique qui l’incite à frôler l’interdit. L’auteur oppose explicitement la tante Judith à Christine qui, au niveau de l’onomastique, paraissent l’avatar de Judas et de Christ. En effet, la jeune fille incarne la fragilité et la délicatesse, donne une image de frêle.

(9) 亂倫禁忌與犧牲儀式:雨連.格林的短篇小說《克麗絲汀》研究 31. victime, alors que la tante est étroitement associée à la cruauté et à la rigidité, à la femme castratrice qui proscrit le désir. Deux types de femmes qui suscitent deux types de fascination, fascination angélique pour Christine et fascination diabolique pour Judith. En dépit de la symétrie des deux groupes de personnages, une opposition fondamentale demeure ineffaçable, celle du sexe et qui, en l’occurrence, fait la différence entre Christine et Jean. L’imaginaire greenien repose pour l’essentiel sur la configuration biblique, selon laquelle l’opposition sexuelle demeure responsable de l’anarchie charnelle et de l’engendrement du désir. Pourtant, si ce clivage sexuel est fondamental, le conflit qu’il engendre ne paraît pas, ici, si évident. Il est d’autant moins évident que Jean, durant cette crise du désir, ne s’intéresse pas vraiment à la question de la sexualité. Le discours du désir s’inscrit plus dans le registre de la performance rhétorique que dans la nécessité de l’essence. Christine, en tant qu’objet de désir et de fantasme, est cependant dépossédée de sa propre valeur fondamentale puisqu’elle est désexualisée. Cette abolition nous permet de nous pencher davantage sur la théorie du désir mimétique, où le désir n’est jamais l’expression authentique et spontanée d’un être unique, mais le produit d’une relation mimétique, façonnée et formulée en fonction d’un tiers. Sans discréditer la fascination de Jean pour la beauté de Christine, on constate qu’il existe à côté de ce désir « officiel » un désir authentique, latent et à jamais inavouable, celui de Jean pour Judith, substitut de la figure maternelle, figure féminine sur laquelle sa convoitise pleine de haine prend corps, ne serait-ce que parce que la tante détient la capacité de lui tenir tête. Le texte est tissé de deux désirs dont l’un, officiel, camoufle l’autre, frappé encore plus d’interdit et de tabou, car d’ordre incestueux. Le désir de Jean pour Christine détourne et dissimule celui pour la tante Judith. Sous l’histoire d’un désir divin de l’amour courtois se cache un désir humain nourri du désir de l’autre. 2. 3 La fascination du pouvoir féminin Cette nouvelle donne à voir un leurre fondamental concernant la présence des personnages. Il suffit de tenir compte de cette stratégie narrative pour saisir la dimension véritable du récit car l’enjeu de l’interprétation de cette nouvelle réside précisément dans cet effort d’aller au-delà des apparences, ainsi que l’affirme Umberto Eco, « […] la vérité s’identifie au non-dit ou à ce qui est dit de manière obscure et doit être compris au-delà de l’apparence et de la lettre » (54). Sans doute Christine constitue-t-elle la figure principale de ce récit qui s’assigne pour objectif de retrouver cet être féminin évanescent, qui apparaît comme un objet perdu. Néanmoins, comme elle est cloîtrée tout au long de l’histoire dans la chambre secrète, elle est reléguée au second plan. D’elle, il ne reste plus qu’une pseudo-présence, sans.

(10) 32. 外國語文研究第十二期. épaisseur, sinon celle d’être absente. La présence de Christine, dans l’économie du récit, tient du leurre. Sans doute incarne-t-elle cet objet du désir auquel le héros lance un « je-vous-aime » qui relève de la rhétorique amoureuse dans une histoire qui se veut celle de la nostalgie d’un amour évanoui. Néanmoins, ce « je-vous-aime » ressemble à une performance officielle, est vide de sens, car c’est un message clos et inamovible incapable de prendre en compte la vraie intentionnalité de l’émetteur. À l’opposé, bien que la tante Judith appartienne a priori au rang des personnages secondaires, on s’aperçoit facilement que c’est elle qui oriente la progression du récit et dirige le cours des choses. Le déroulement du récit donne, en effet, à Judith plus d’épaisseur romanesque qu’à Christine, parce qu’elle incarne davantage la figure du pouvoir qui exerce sur Jean à la fois séduction et intimidation. Pour cela, l’intérêt que le héros porte à Judith l’emporte sur son attention envers Christine. Qu’est-ce qui, malgré ses répulsions « officielles », fascine tant Jean chez Judith ? Comment s’élabore et se condense la personnalité de la tante qui fascine Jean à tel point qu’il méconnaît cette séduction jusqu’à la fin ? Trois aspects du personnage de Judith permettent de l’expliquer. Il y a d’abord le « on-dit » qui entoure Judith de manière à la mystifier, à l’auréoler, à mettre en avant son côté maléfique ; ensuite, sa capacité à s’exprimer dans une langue étrangère inaccessible au narrateur ; enfin, sa féminité, affirmation de son individualité, que mettent en valeur les gestes intimes qu’elle prodigue ostensiblement. En effet, Julien Green confère à ce personnage féminin une pesanteur funeste à tel point que son pouvoir de séduction perverse travaille sur l’esprit du héros. Dans la description qu’il en fait, le narrateur exprime une vive répugnance à l’égard de cette personne mystérieuse : « C’était une personne plutôt énigmatique et que nous ne voyions presque jamais parce qu’elle vivait fort loin de chez nous, à Washington. Je savais qu’elle avait été fort malheureuse et que, pour des raisons qu’on ne m’expliquait pas, elle n’avait pu se marier. Je ne l’aimais pas. Son regard un peu fixe me faisait baisser les yeux et elle avait un air chagrin qui me déplaisait. Ses traits étaient réguliers comme ceux de ma mère, mais plus durs, et une singulière expression de dégoût relevait les coins de sa bouche en un demi-sourire plein d’amertume » (Green 4).. Emplie de connotation négative, la tante est dépeinte comme une femme sombre, impénétrable, et fort imposante. Pourtant, ne nous hâtons pas de prendre pour argent comptant ces dépréciations de la part du narrateur. La répulsion qu’il affiche à l’égard de sa tante ne peut-elle pas dévoiler une attirance cachée, d’autant plus qu’il prend soin de s’attarder sur ce personnage ? Surtout, Jean a déjà entendu parler du secret de sa tante. Le « ouï-dire » a, par définition, une fonction de médiation qui provoque l’intérêt du sujet vis-à-vis de.

(11) 亂倫禁忌與犧牲儀式:雨連.格林的短篇小說《克麗絲汀》研究 33. l’objet dont parlent les autres. Ce qu’on dit de la tante, au lieu de la dévaloriser, lui confère au contraire une image plus imposante que ne le paraît sa personne, quand bien même il s’agirait de propos négatifs. Impuissant à jauger par lui-même les choses ou les êtres, l’individu a besoin de s’en remettre à l’opinion des autres qui sert de garant à son point de vue, mais qui du même coup lui confisque toute spontanéité. Dans la description physique de sa tante, le narrateur ne relève que des traits négatifs. Pourtant, l’accumulation de ses défauts contribue à lui donner un statut d’être mystérieux et doté d’un certain prestige. Le deuxième élément de fascination est lié à la faculté de la tante à s’exprimer en français, langue étrangère qu’elle maîtrise bien mais dont Jean ne connaît pas un traître mot. Que la tante puisse s’exprimer en français semble rehausser son prestige et sa séduction. La mère et la tante en parlant une langue étrangère l’excluent de la conversation, ce qui suscite son irritation ; pourtant cet agacement est nuancé par l’admiration qu’il éprouve pour sa tante. La langue étrangère permet à la tante et à la mère d’aborder des sujets énigmatiques, à l’abri des oreilles indiscrètes. La langue étrangère devient synonyme de dépaysement et s’oppose à l’étouffement et à la monotonie de la vie quotidienne. Enfin, troisième élément, le narrateur semble être également sensible à certaines expressions gestuelles et physionomiques particulières de la tante Judith sur lesquelles il attire notre attention : « […] elle fronça les sourcils d’une manière qui la rendait à mes yeux épouvantable à voir » (Green 9). Les moindres gestes qui dénotent une intimité entre la tante et la mère n’échappent pas à Jean : « Le lendemain matin, au salon, je trouvai ma tante en larmes, assise à côté de ma mère qui lui parlait en lui tenant les mains » (Green 8). De même, au moment de se quitter, « elles s’embrassèrent à plusieurs reprises » (Green 12) ; lors de leurs retrouvailles un an après, « elle [la tante] se tint un instant sur le seuil de la porte, ôtant ses gants d’un geste machinal ; puis, sans dire un mot, elle se jeta en sanglotant dans les bras de ma mère » (Green 12). Les gestes ostensibles de sa tante, riches d’effets théâtraux et esthétiques dont le héros est spectateur, la rendent à la fois naturelle et artificielle. Passif devant ces échanges d’affection, Jean est d’autant plus exclu que l’intimité des gestes leur confère un caractère saphique. Sa fascination pour ce couple féminin tient-il une place particulière dans son envie de se rapprocher de Christine ? On peut se le demander. Car la modalité de son désir n’est pas exempte d’une certaine idéalisation d’un saphisme idyllique. Christine paraît n’être qu’une partenaire imaginaire qui permet à Jean d’élaborer sa propre version de l’amour saphique dont l’union intime entre la mère et la tante fait figure du médiateur. Le sentiment que Jean porte à la tante Judith pourrait résulter d’un attrait, pour les « chipies » – récurrent chez Julien Green en tant qu’emblème de l’homosexuel –,.

(12) 34. 外國語文研究第十二期. attrait dans lequel coexistent l’admiration et la répulsion. Ce penchant pervers ne peut s’expliquer que par la structure triangulaire du désir. Qu’est-ce que les chipies, sinon des femmes d’une force quasi inhumaine dotées d’un caractère pugnace et autoritaire ? Elles donnent l’illusion d’être souveraines et supérieures et fascinent les voyeurs clandestins en proie à un dramatique sentiment d’insatisfaction et d’infériorité. C’est précisément en raison de l’exhibition de ces attributs que certains personnages greeniens dépourvus de consistance succombent à l’attrait de ces femmes phalliques. 2. 4 La circulation de la bague La bague que Jean offre à Christine et qu’il a subtilisée à Judith met, là encore, à mal le motif lyrique. Dans la poésie romantique, nombreux sont les poètes-amants qui, pour valoriser le corps de l’être aimé, lui offrent un objet symbolique en témoignage de leur admiration. La bague, les perles, les joyaux sont des objets chargés de connotation poétique, susceptibles de mettre en valeur l’être aimé. S’il n’y a rien d’étonnant à ce que Jean offre une bague à Christine, l’ambiguïté tient au fait que cet objet n’appartient pas à lui mais à Judith. Cette subtilisation, pour futile qu’elle soit, révèle la rivalité mimétique qui se développe entre Jean et sa tante autour de Christine. Le désir selon l’Autre est toujours un désir d’être l’Autre. En s’emparant du bijou dont la tante est la détentrice originaire, Jean cherche inconsciemment à s’emparer de l’essence de sa propriétaire. Le don de la bague implique intrinsèquement un acte viril et phallique. Analysant les mécanismes qui sous-tendent le protocole ornemental dans les romans du dix-neuvième siècle, Pierre Saint-Amand, dans une perspective lacanienne, a dit : « L’homme obligerait la femme à faire étalage (par transfert) de ses organes génitaux. Les bijoux effectuent à merveille cette substitution. » (264) Ainsi, ce qui a trait aux bijoux, aux objets dont se parent les femmes, représente bien plutôt un inconscient de la masculinité. La bague ainsi que les bijoux, pour être des objets féminins, ne laissent pas d’être investis du pouvoir du phallus. On peut mettre en parallèle les joyaux et le pouvoir phallocentrique, en se servant du rapprochement étymologique que Lacan établit entre « se parer » (se parare) et « s’engendrer » (se parere) (69). Le don de la bague symbolise l’aptitude à engendrer, attribut phallique par excellence. Pourtant, rien de tel chez le héros de Julien Green. Pour offrir à l’être aimé un gage d’amour, Jean se permet de puiser l’inspiration non au fond de lui-même, mais dans les ressources maternelles. Il fouille impatiemment dans la chambre de sa mère, puis dans la malle de sa tante pour trouver de quoi plaire à l’objet de son amour : « Je me précipitai alors dans la chambre de ma mère et ne me fis pas faute d’examiner le contenu de toutes ses commodes, mais là non plus je ne vis rien qui me parût digne de Christine. Enfin, j’aperçus, poussée contre le mur et derrière un meuble, la malle que ma.

(13) 亂倫禁忌與犧牲儀式:雨連.格林的短篇小說《克麗絲汀》研究 35. tante avait apportée avec elle » (Green 11).. La chambre de la mère et la malle de la tante, où Jean plonge ses mains « fiévreuses », sont imprégnées de leur intimité féminine non exempte d’érotisme. Cette transgression confère à cette scène clandestine une dimension incestueuse. Tout se passe comme si, pour conquérir le cœur de sa bien-aimée, Jean devait s’approprier la nature de ces deux femmes en s’emparant de l’objet de leur intimité, l’objet de leur pouvoir, l’objet-phallus. Ce désir non seulement est placé sous le signe de la concurrence féminine que concrétise cet acte de vol et de viol symbolique, mais il suggère aussi une espèce de détumescence masculine d’autant plus que, loin de lui permettre de s’affirmer, la bague finit par le desservir et lui jouer un mauvais tour : Christine, au lieu de se réjouir de ce cadeau, qu’il a glissé sous la porte, finit par s’évanouir après avoir poussé des cris d’horreur. Saisi d’effroi, Jean se sauve et s’enferme dans sa chambre, n’osant même pas assumer la responsabilité de ce vol. L’horreur est d’autant plus intense que Jean a commis une double transgression : celle, d’une part, d’un adultère symbolique en donnant la bague à Christine ; celle, d’autre part, d’un inceste symbolique en s’emparant de l’objet intime de sa tante. La crise atteint ainsi son paroxysme dans cette scène. Jean s’intéresse-t-il à ce bijou parce qu’il fait partie de l’univers de sa tante ? En subtilisant cet objet précieux, il se réjouit d’une illusion qui consiste à s’intégrer dans l’être du médiateur du désir, la bague étant associée à l’affirmation du pouvoir. Le petit saphir symbolise en quelque sorte la souveraineté de la tante dont Jean voudrait s’emparer, lui-même traversant une crise liée au manque. Ce vol est plus lié à la part féminine de Jean qu’à sa part virile. Sans doute a-t-il l’intention d’orner l’être aimé avec cette bague, pourtant, rien n’interdit de supposer que Jean vise moins à donner ce bijou qu’à le posséder. La signification de l’intérêt qu’il porte à ce saphir oscille entre ces deux possibilités : le désir de parer la Mère pour dissimuler la castration et le désir de s’en emparer pour conjurer l’angoisse de la castration qu’il ressent. S’agit-il du don généreux et amoureux d’une bague de la part d’un amant courtois ? Nous sommes plutôt face à la concurrence jalouse avec le modèle, à la fois séduisant et redoutable, dont la bague incarne la quintessence.. 3. La crise de dissolution et la résolution sacrificielle Christine incarne la nature de la maladie, dont on n’ignore pas le pouvoir anarchique chez Julien Green. La maladie de la jeune fille est présentée par le narrateur comme échappant aux causes naturelles et à la compréhension médicale. En effet, dès la première apparition de Christine, une violence sourde est déjà à l’œuvre dans cette scène. Christine est malade d’on ne sait quelle affection. Le texte ne nomme pas précisément cette maladie, mais il en suggère la gravité par le biais du.

(14) 36. 外國語文研究第十二期. désarroi et de l’attitude de la tante et de la mère : c’est une maladie particulièrement contagieuse qui oblige à la « mettre en quarantaine ». La mère et la tante essayent de se cacher la vérité en enfermant Christine, elles donnent ainsi l’impression de nier la présence de la maladie, de faire semblant de l’ignorer. L’arrivée de Christine coïncide avec le début du cauchemar qui envahit toute la famille en propageant la terreur de la maladie et en plongeant tous les personnages, à des degrés divers, dans une crise collective. Cette peur de la maladie, qui acquiert une dimension collective, conduit à la suspension de la différence. Le meilleur exemple en est fourni par la mère de Jean qui est, au départ, indépendante et autonome. Depuis l’arrivée de Judith et depuis qu’elle forme avec elle un duo inséparable, on n’entend plus sa voix, et sa présence est désormais tributaire de celle de la nouvelle venue. Du jour au lendemain, elle n’est plus elle-même, mais le double de l’autre. En outre, la maladie de Christine rend les deux femmes solidaires. À la mère indépendante qui vit seule avec son fils unique succède une femme qui entretient une relation intime et en vase clos avec la tante. Cette relation est conséquence de la maladie de Christine. Les deux femmes deviennent identiques et interchangeables à tel point qu’on ne peut plus les distinguer l’une de l’autre, obsédées par la même préoccupation, tendues vers le même objectif. Certaines décisions saugrenues que la mère a prises ne manquent pas d’intriguer le fils : « […] je me demandai un instant qui de ma mère ou de moi avait perdu le sens » (Green 6). Jean a l’impression que sa mère est en train de devenir différente, de devenir autre, de se distinguer de lui. La disgrâce dans laquelle Jean croit être tombé prend l’allure d’une crise identitaire, où l’idylle familiale de l’enfant risque de s’évanouir. Le désir devant la beauté fascinante de Christine va de pair avec l’inquiétude de l’enfant d’être privé de sa mère. Toute l’histoire repose sur la matérialisation du conflit et se concentre, par la suite, sur la résolution de cette crise à la fois personnelle et collective. Le récit prend alors la forme d’une traversée initiatique en même temps qu’il prépare une résolution sacrificielle reposant sur la mise au ban d’un élément censé être responsable de l’anarchie en question. Dès lors, pour naïve et romantique que soit cette nouvelle, elle n’en est pas moins violente et terrifiante car elle met en place, de manière furtive et souterraine, la persécution d’une victime. Le sacrifice s’annonce comme l’exutoire nécessaire par lequel la violence doit pouvoir s’exprimer. La séquestration de Christine dans cette maison éloignée du monde, dans une chambre isolée, ressemble à un lynchage clandestin. Au lieu de l’exposer en plein soleil, on la tient captive dans une chambre sombre comme si cette réclusion pouvait faire barrage à l’affection maligne qui se répand. À la violence de la maladie de Christine s’ajoute la violence de l’entreprise d’emprisonnement effectuée par les autres. Christine est sans cesse présentée comme un être défendu, illicite. La.

(15) 亂倫禁忌與犧牲儀式:雨連.格林的短篇小說《克麗絲汀》研究 37. mère et la tante la séquestrent comme s’il s’agissait de cacher quelque chose d’odieux ; la démarche de transgression de Jean renforce l’idée d’interdit. Toutes ces conduites sont également brutales et illégales. On obtient ainsi un mouvement de boomerang : il s’agit d’enrayer la violence par la violence et d’opposer le scandale au scandale. Et c’est sur Christine que pivote le va-et-vient de ces violences : elle génère et subit à la fois ces actions scandaleuses. Le don d’une bague, qui est normalement un gage d’amour, un don amoureux – l’anneau étant traditionnellement le symbole de l’alliance – apparaît ici en négatif : il coûte la vie à celle qui le reçoit. Si l’offrande de la bague se déroule comme une transgression, puisqu’elle contrevient à l’ordre de la mère, elle n’en est pas moins aussi un acte de persécution. L’acte d’amour se mue, inconsciemment, en un acte de meurtre. En recevant la bague et surtout en la portant, Christine est immédiatement sujette à un affolement qui contribuera à l’aggravation de sa maladie. La bague est ici un instrument de persécution qui permet d’expier la faute, le désordre, en le mettant sur le compte de Christine. Il s’agit, d’après Chantal Brunot, d’une « bague qui ne pourra se libérer qu’à la mort de Christine, laissant deviner une sorte d’éviscération du corps comme si on avait dû mettre en morceaux sa beauté originaire pour retirer le cerne du mal » (23). Cette assertion rejoint la nôtre en plaçant la jeune fille sous le signe d’une immolation féroce. Christine est moins un objet d’amour qu’on honore avec lyrisme qu’un bouc émissaire sur lequel on s’acharne inconsciemment en vue de s’extirper de la crise. On songe notamment à la scène nocturne de l’orage qui s’abat violemment sur la maison avec des coups de tonnerre gigantesques et effrayants et dont Christine est la victime : « […] l’orage de la nuit dernière avait affecté la petite fille d’une manière très sérieuse. Prise de peur aux premiers grondements de tonnerre, elle avait appelé, essayé de sortir de sa chambre, et s’était évanouie » (Green 8). Dans la croyance populaire, on associe d’ordinaire le grondement naturel du tonnerre à la sanction divine et surnaturelle suite à une transgression humaine. Le fait que Christine se trouve en butte au tonnerre va dans le sens d’une punition, comme si la force surnaturelle agissait sur elle comme un châtiment céleste. La maladie qu’elle porte ne se présente-t-elle pas comme le signe d’une faute, d’un châtiment expiatoire ? Mythe de la beauté, la nouvelle Christine l’est précisément parce que, à l’instar de tous les mythes, elle se nourrit et s’alimente d’un sacrifice humain. Christine se présente alors comme le bouc émissaire à qui l’on impute l’anarchie nouvelle qui règne. Bien entendu, il ne s’agit pas d’une société primitive où le lynchage demeure la résolution ultime de la crise qui s’est emparée de la communauté. Pourtant, l’éloignement spatio-temporel par rapport au reste du monde tend au dépaysement. En outre, l’auteur met l’accent sur l’étanchéité protectrice de la maison dont la.

(16) 38. 外國語文研究第十二期. construction est spécifiquement défensive : « Elle opposait à la frénésie des vents, qui soufflaient du large, de solides parois en pierre unie et un pignon rudimentaire qui faisait songer à la proue d’un navire » (Green 3). D’où l’impression d’un huis clos se refermant intimement sur lui-même, accroissant la clandestinité d’une société inaccessible aux autres, au sein de laquelle sont théâtralisées l’apparition et la disparition énigmatiques de Christine. En outre, l’auteur joue de l’opposition entre ville moderne et village sauvage et aride. Ainsi la maison puritaine où Jean et sa mère sont en villégiature se situe loin du monde, dans un paysage désertique particulièrement lugubre du fait de la raréfaction de la végétation et de la grisaille permanente du ciel : « La route de Fort-Hope suit à peu près la ligne noire des récifs dont elle est séparée par des bandes de terre plates et nues. Un ciel terne pèse sur ce triste paysage que ne relève l’éclat d’aucune végétation, si ce n’est, par endroits, le vert indécis d’une herbe pauvre » (Green 3).. La fin du texte se situe à Boston, ville moderne où demeurent Jean et sa mère. De même, la tante habite en réalité Washington. On a ainsi une opposition entre la ville ancienne (Fort-Hope) et les villes modernes (Boston et Washington). Le fait que les personnages se réunissent, pendant les vacances, à Fort-Hope, un village retiré et clos sur lui-même, confère à leur action un caractère clandestin. Le retour final à la ville moderne annonce ainsi l’achèvement d’une initiation occulte. Le texte met implicitement l’accent sur le processus qui conduit de la barbarie à la civilisation, de la nature à la culture, de l’antiquité à la modernité, en focalisant notre attention sur la construction rudimentaire de la bâtisse. Le narrateur-héros semble très sensible aux étapes de la construction du bâtiment. Ainsi il nous rappelle qu’il a été bâti à l’époque où les Pèlerins – les puritains exilés à cause de leurs convictions religieuses – établissaient à coups de mousquet le royaume de Dieu dans ces régions barbares. Ce rappel du passé glorieux de la maison souligne en même temps l’aspect sanguinaire dont elle est empreinte. À cette violence ancienne sur laquelle elle est bâtie correspond l’étrangeté fantastique dont est porteuse cette maison prétendument hantée. Green excelle à suggérer l’effet fantastique sans recourir à l’intervention surnaturelle. Ainsi la maison est si vaste qu’on entend les échos de sa voix : « […] toutes les pièces paraissaient vides, tant elle était spacieuse, et […] la voix y avait un son qu’elle n’avait pas à la ville, dans l’appartement que nous habitions à Boston. É tait-ce un écho ? Elle semblait frapper les murs et l’on avait l’impression que quelqu’un à côté reprenait la fin des phrases » (Green 4). En outre, les longs couloirs sombres et tortueux, surmontés d’inscriptions bibliques, renforcent le caractère labyrinthique et lugubre de la maison, très caractéristique de la maison greenienne. Cette habitation antique emplie de mystères inquiétants crée ainsi une.

(17) 亂倫禁忌與犧牲儀式:雨連.格林的短篇小說《克麗絲汀》研究 39. résonance remarquable avec son passé placé sous le signe de la cruauté et de la violence. Maison-caverne, maison-labyrinthe que ce microcosme du royaume de Dieu. Cet espace clos fait songer à la caverne préhistorique au sein de laquelle se déroulaient des rites de passage, ainsi que nous la décrit Mircea Eliade : « Dans la préhistoire, la caverne, maintes fois assimilée à un labyrinthe […], était à la fois le théâtre des initiations et le lieu où l’on enterrait les morts. À son tour, le labyrinthe était homologué au corps de la Terre-Mère. Pénétrer dans un labyrinthe ou dans une caverne équivalait à un retour mystique à la Mère – but que poursuivaient aussi bien les rites d’initiation que les rites funéraires. » (211) Dans sa description de la maison, l’auteur s’attarde notamment sur le matériau dans lequel est gravée l’inscription religieuse : « En exergue autour d’un œil-de-bœuf se lisaient ces mots, gravés dans la matière la plus dure qui soit au monde, le silex de Rhode Island : Espère en Dieu seul » (Green 3). La présence de bon nombre d’inscriptions portant le message divin fonctionne comme ce qu’Annette Tamuly appelle, en reprenant l’expression de Derrida, « l’archi-parole », « parole sainte, source de toute parole pour le croyant » (127). Signe du sacré qui repose sur la dissimulation de la violence collective. En outre, cette indication du matériau originaire dans lequel est gravée la devise nous conduit à revoir, par-delà la culture raffinée, l’état brut et barbare de l’édifice. La propension de Julien Green à évoquer l’infrastructure d’une architecture achevée rend sensible l’opposition entre inachèvement et perfection, entre barbarie et culture. Le passage du silex à la stèle, de la pierre à la maison, symbolise l’évolution de l’humanité qui repose, sous des apparences illustres et pacifiques, sur le principe de la persécution sacrificielle. Surtout, rappelons que le silex, comme l’obsidienne, servait autrefois à fabriquer des armes, « les lames des couteaux de sacrifice » (Chevalier, J. and Gheerbrant, A. 684). Il a beau se transformer en une œuvre céleste, en objet sacré et civilisé, il est placé sous le signe de la violence et du massacre. Ce goût prononcé de l’auteur pour la première pierre de la fondation nous met en présence d’une violence primitive, camouflée par l’ornement et le raffinement de la culture. De même, à la fin du texte, le héros voit à travers la fenêtre de sa bâtisse « les ouvriers de la voirie qui jetaient des pelletées de sable sur le verglas » (Green 12). La nouvelle se clôt sur l’accumulation de la neige qui permet, notamment chez Julien Green, de dissimuler ce qui est atroce : sous le verglas que les hommes recouvrent de sable, se cache l’histoire d’un sacrifice. La prédilection qu’affiche le héros pour ces spectacles de construction met en relief la dialectique dévoilement/camouflage, nature/culture. Dans ce contexte-là, jeter « des pelletées de sable sur le verglas » peut se lire comme un acte symbolique visant à dissimuler l’infâme ou bien au contraire à se protéger.

(18) 40. 外國語文研究第十二期. d’un danger éventuel. Ce procédé constant chez Julien Green fait songer notamment à ces pierres sacrificielles qui constituent le lieu fondateur de la cité antique, toujours associées à quelque histoire d’immolation et de lynchage, dissimulée tant bien que mal. Conclusion Ainsi, dans cette nouvelle, l’auteur participe à l’échafaudage du mythe de beauté en consolidant la conviction de la présence de l’aura épiphanique vers laquelle s’oriente le désir. Pourtant, ce processus de divinisation n’est pas sans se fonder parallèlement sur le sacrifice de l’innocente persécutée qu’est Christine. En enterrant Christine dans la sépulture mythique, l’auteur n’efface en rien l’empreinte de la violence humaine qui est à l’œuvre derrière la façade féerique qui se nourrit de la méconnaissance collective. Christine, serait-ce le nom d’une apparition épiphanique dont on regoûte la saveur angélique dans un lyrisme impérissable ? Ou plutôt celui d’un bouc émissaire ; victime persécutée innocemment, dont on honore la mémoire par l’édifice purificateur, dissimulateur de la littérature ? Par la narration à la première personne, cette nouvelle ressemble à un récit de la persécution dont Christine est l’objet sacrificiel, transfiguré par l’illusion du narrateur – qui n’est autre que le persécuteur revenu de l’erreur qui a coûté la vie à la victime. Christine, première œuvre de Julien Green, inaugurant une abondante production romanesque, ne serait-elle pas la première pierre sur laquelle notre romancier édifie son mythe personnel fondé sur une certaine forme de son innocence perdue ?.

(19) 亂倫禁忌與犧牲儀式:雨連.格林的短篇小說《克麗絲汀》研究 41. 參考文獻 (一)專書: Barthes, Roland. Le Degré zéro de l’écriture. Paris, Eds. Seuil, 1972 Barthes, Roland. Fragments d’un discours amoureux. Paris, Eds. Seuil, 1977 Bruno, Annie. Rêve et fantastique chez Julien Green. Paris, Eds. PUF, 1995 Chevalier, Jean and Gheerbrant, Alain. Dictionnaire des symboles, Paris, Eds. Robert Laffont, 1974 Cusset, François. Queer Critics. Paris, Eds. PUF, 2002 Girard, René. La Route antique des hommes pervers. Paris, Eds. Grasset, 1985. —— La Violence et le Sacré. Paris, Eds. Grasset, 1972. —— Mensonge romantique et vérité romanesque. Paris, Eds. Grasset, 1961. Green, Julien. Œuvres complètes tome I (annotées par Jacques Petit), Paris, Eds. Gallimard, 1972 Eco, Umberto. Les Limites de l’interprétation (trad. Myriem Bouzaher). Paris, Eds. Grasset, 1992 Eliade, Mircea. Mythes, rêves et mystères, Paris, Eds. Gallimard, 1967 Lacan, Jacques. Le Séminaire XX. Paris, Eds. Seuil, 1975 Robert, Marthe. Roman des origines et origines du roman. Paris, Eds. Gallimard, 1972 Rougemont, Denis (de). L’Amour et l’Occident. Paris, Eds. UGE, 1972. Tamuly, Annette. Julien Green à la recherche du réel. Québec, Eds. Sherbrooke, 1976. (二)期刊: BRUNOT, Chantal. “De la mélancolie romanesque à l’onirisme autobiographique à l’œuvre chez Julien Green”. Bulletin de la Société internationale d’études greeniennes. n° 16 (décembre 2004) : 8-25. Saint-Amand, Pierre. “Fiction de parures : Maupassant”. The French Review. 83, no. 3 (December 1991): 258-274..

(20) 42. 外國語文研究第十二期.

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參考文獻

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